Lundi 22 janvier 2024

A vingt et une heure, Léonard venait de passer le dernier coup de serpillère dans les locaux où il travaillait tous les lundis et les mercredis soir : le local d’une célèbre entreprise de téléphonie. Il était retourné aux vestiaires pour se changer, troquant sa longue veste de travail bleu pâle « Top & Clean Services Pro » pour son simple t-shirt marron. Il avait réussi à obtenir cet emploi il y a un an, lorsque la femme qui travaillait avait dû réduire son temps de travail pour s’occuper d’un de ses enfants malades. Léonard était désolé pour elle, mais ravi pour lui ! Il faisait des pieds et des mains pour obtenir plus que huit heures par semaine de travail, mais ils ne recherchaient personne d’autre. L’entreprise savait en revanche qu’on pouvait l’appeler en cas de maladie et il répondrait toujours présent !

Refermant le casier, il utilisa le téléphone fournit par l’entreprise pour badger son heure de sortie avant de le remettre dans la case et d’aller récupérer son fidèle destrier : son vélo. Il avait la chance de pouvoir le stationner dans une aire réservée et sécurisée. Enfin, au centre de Londres il y avait beaucoup moins de personnes mal intentionnées qu’à Whitechapel, mais on n’était jamais trop prudent, surtout qu’il n’avait pas suffisamment d’argent pour en acheter un autre. Impensable pour lui de dépenser un seul penny dans le prix de l’abonnement de transport en commun, à 157 livres sterling, outre le fait que ce soit du vol, il s’agissait aussi du tiers de son salaire et la moitié du prix de son loyer.

Léonard s’attarda quelques minutes sur son téléphone portable. Un smartphone, c’était bien le seul objet technologique qu’il possédait. Il l’avait eu par l’intermédiaire d’une association aidant les jeunes recherchant un emploi, pour bien moins cher. Il lui permettait de faire son CV, de l’envoyer et de rencontrer ce potentiels employeurs. Cela nécessitait un abonnement de téléphone avec du forfait internet, mais qui était vite rentabilisé : il ne pourrait travailler sans. Il n’y avait rien à signaler sur le parcours qu’il arpentait. Pas de vampire ou de loup-garou en divagation, ni même un humain dangereux dans le coin. Excepté les habitués de Whitechapel. Il regardait toujours par réflexe la page officielle BUR, de la Ville et le groupe social des habitants de son quartier avant de quitter son travail à une heure aussi tardive et surtout, aussi sombre.

Rangeant son téléphone dans la poche intérieure de sa veste il enfourcha son vélo et partit rapidement, sur les bords de la Tamise, en direction du quartier le plus malfamé de la ville qui était aussi sa maison. Ses jambes peinaient parfois à pousser le vélo dans les quelques petites montées, autant du à la fatigue de la journée qu’à la sous-alimentation. Avec tous ces kilomètres parcourus, il aurait presque un corps de rêve s’il pouvait manger plus ! Perdu dans ses pensées, il réalisait à peine qu’il était presque arrivé à destination, plus que deux petits kilomètres à parcourir.

« Hey ! »

Quelqu’un l’alpagua. Par habitude, le blondinet stoppa net son vélo, les bruits des freins usés retentirent dans la nuit. Il plissa les yeux pour mieux voir dans la nuit. La silhouette d’un grand homme qui faisait une tête de plus que lui se dessinait à la lumière de la lune.

« T’as pas une clope ?! »

Situation de danger repérée. Léonard avait plus qu’envie de prendre ses jambes à son cou, ou ses pédales à ses pieds, mais il se sentait incapable de bouger. Courageux, oui, mais pas téméraire. Il ne sentait pas vraiment ce type.

« Euh, non je- »

Léonard n’eut même pas le temps de finir sa phrase qu’il se fit soulever par le collet. Son vélo tomba au sol. Il espérait qu’il ne soit pas abimé.

« T’as l’air d’un blanc bec de richar qui vient faire son petit tour ici. Tu veux tester l’ambiance de ce quartier pourri ?! Tu vas pas être déçu ! »

Indices : les vêtements hyper simples, rapiécés et le vélo en piteux état ? Non. Visiblement, l’homme était totalement dé-fon-cé. Ou pire. Enfin, qu’est-ce qui était pire ? La technique de baisser la tête et de se barrer marchait parfois. Il allait essayer. Il ne pouvait pas. Il ne vit qu’à peine le poing s’abattre sur sa trogne. Il avait essayé de protéger son visage. Auprès de ses employeurs, il pouvait camoufler aisément des bleus sur le corps, surtout en hiver, mais pas le visage ! Son autre main se dirigeait derrière son cœur. Son téléphone ne devait pas être brisé par cet assaut !

Lundi 22 janvier 2024

Comment il en était arrivé là, au juste ? Qu’avait-il fait à cet homme ? Pourquoi était-il soudainement attaqué ? D’où lui venait cette force ? Enfin, Léonard étant maigrichon, difficile de dire si la force de cet homme baraqué était normale ou surnaturelle. Ce qui était sûr, c’est qu’il avait mal à chaque fois que cet homme abattait ses coups : sur ses bras, sur ses épaules et un peu le haut de son corps. Il était tombé à terre, sans rien dire. Il ne se voyait pas supplier cet homme d’arrêter : à quoi cela servirait ? Il avait commencé pour rien, il n’arrêterait que lorsqu’il en aurait envie.

D’un coup, les coups cessèrent. La respiration qu’il avait maintenue devint d’un coup, bruyante, et il toussait un peu. Il était incapable de dire ce qu’il s’était passé, il avait juste réalisé que l’homme était aussi à terre. Il sursauta un peu lorsqu’un homme s’approcha de lui. Il se présenta comme un agent du Bureau. Tout allait bien, vraiment ? Il observait son agresseur se faire emmener plus à l’écart et tentait doucement de reprendre conscience, de faire aller son cœur moins vite. Il avait vécu pire, ce n’était pas ça qui allait l’empêcher de parler. N’est-ce pas ?

« Euh… »

Où avait-il mal au juste ? A cause de l’adrénaline, il ne ressentait même plus la douleur à la joue dont il sentait pourtant le gonflement. Il posa sa main doucement dessus et tressauta. Aïe. Génial. Il avait évidemment besoin d’être abîmé au visage, si un nouvel employeur se présentait, il ne serait jamais sélectionné dans cet état, même pour faire du ménage !

« Mon vélo ! »

Réaction probablement extrêmement stupide, mais Léonard se releva d’un coup sec pour redresser son fabuleux destrier. Le cœur avait repris sa chamade, il vérifiait s’il pouvait encore rouler sans se préoccuper des autres coups reçus. Le guidon était très légèrement tordu, mais les roues n’avaient pas été percées. Il pourrait encore l’utiliser ! Il eut un éclair de lucidité (ou de stupidité) supplémentaire avant d’ouvrir prestement sa veste -pas suffisamment chaude pour ce temps- et de vérifier son téléphone portable. Il déverrouilla l’écran : tout marchait très bien. Dans son malheur, il avait sauvé ses deux biens les plus précieux. Il ne réalisait même pas que cela devait sembler plus qu’étrange aux yeux de l’homme de s’inquiéter d’abord pour le matériel.

Le soulagement envahi son corps alors que ses jambes se firent molles et que sa tête tourna un peu.

« Ha…. Ça tourne un peu… »

Le jeune blond préféra s’asseoir par terre pour éviter de tomber, retombant dans la réalité de ce qui lui était arrivé. Il n’avait même pas répondu à la question de son sauveur.
 

Lundi 22 janvier 2024

Une fois rassuré sur l’état de ses deux biens les plus dispendieux, le corps de Léonard lui rappelait perfidement qu’il venait d’être agressé et que ce n’était pas vraiment le moment pour ça. Sa tête se mis légèrement à tourner et il n’avait plus la force de se tenir sur ses jambes. Il s’asseyait sur le sol prestement, essayant de respirer tranquillement. Il avait encore un peu le souffle court et aurait besoin de plusieurs minutes pour récupérer. Il observait l’homme qui l’avait aidé appeler certainement les pompiers. Un peu de glace ne serait certainement pas de trop pour sa joue.

Alors qu’il lui posait plusieurs questions d’affilé, Léonard réfléchissait à chacune, se repassant le moment très désagréable.

« Euh… Il m’a frappé au visage, je suppose que si j’ai un peu la tête qui tourne c’est à cause de ça… Jai du mal à tenir sur mes jambes.. Mais non, je n’ai pas la nausée. »

Son rythme cardiaque lui semblait s’apaiser un peu, lui permettant de parler avec plus de contenance.

« Il a surtout frappé mes bras. »

Relevant ses jambes pour observer un peu l’état de son corps, il vit qu’il y avait quelques contusions rougeâtres et des gonflements, les bleus apparaitraient sans doute bientôt.

« Je m’appelle Léonard. Léonard Lawson. »

Il n’aurait aucun problème à répondre aux questions concernant la date et le moment de lajournée. Sa tête allait bien. En revanche, le coup de stress soudain et le manque de nourriture ne l’aidait pas à se remettre rapidement sur pied. Le blondinet remit ses manches correctement, car il commençait à avoir un peu froid. Il refermait aussi sa veste pour conserver sa chaleur. Le sol glacé n’était pas très agréable pour s’asseoir et il descendait son manteau pour pouvoir s’asseoir dessus, limitant la sensation glaciale du bitume.

Lundi 22 janvier 2024

Léonard était incapable de dire s’il avait quelque chose de cassé. Il n’avait pas aussi mal que ça, c’était surtout le choc qui l’avait rendu faible sur ses jambes. Les minutes qui passaient l’aidaient beaucoup à reprendre contenance. Léonard retint une grimace lorsqu’il lui dit qu’il était mieux d’appeler une ambulance. Hors de question qu’il reparte à l’hôpital, déjà il serait absolument claqué demain, ensuite il ne laisserait pas son vélo ici. Oui, quand il voulait le blondinet pouvait faire partie des gens ennuyeux. Son vélo serait volé par le premier venu et il attendrait longtemps pour une radio, il risquait de ne pas être efficace au travail, déjà qu’il allait passer une sale nuit. Heureusement, les frais médicaux étaient bien pris en charge, il n’avait pas à s’inquiéter pour le prix. Il n’était cependant pas contre qu’un médecin l’examine, surtout s’il lui donnait son véto pour rentrer.

La question que venait de poser l’agent Hawkins était normale, mais pour Léonard c’était presque un constat d’échec d’en donner la réponse.

« Non, personne. »

Qui n’avait personne à prévenir ? Léonard se concentrait sur les médecins qui venaient d’arriver et qui l’examinait. L’un se présenta comme le médecin, l’autre comme une infirmière et l’ambulancier venait avec le sac de médicaments sur son dos.

« Où avez-vous mal jeune homme ?
- J’ai mal au bras, il a surtout tapé sur les bras.
- Et votre tête ? Vous avez perdu conscience ? Vous avez des maladies ou des traitements particuliers ?
- Je n’ai pas été cogné à la tête, je l’ai protégée avec mes bras justement. Et aucune maladie ou traitement à déclarer. Je n’ai pas non plus d’allergie. »

Léonard eut un mouvement de recul quand l’infimière approcha un ciseau de sa veste, il eut presque un regard courroucé ! Elle voulait lui couper sa veste elle était folle, c’était son seul manteau ! C’était pas comme s’il ne pouvait pas l’enlever de lui-même.

« C’est préférable si on le coupe.
- Non, je préfère l’enlever moi-même. »

Il ne laissa pas l’infirmière protester, oui c’était pour son bien, oui elle lui disait que c’était juste du tissu, mais elle pouvait s’en racheter un autre, lui ne pouvait pas. Il faisait froid, hors de question de tomber malade en allant au travail demain car il n’avait plus de manteau et de louper ainsi quelques jours de travail. Il enleva donc doucement sa veste. D’habitude, Léonard était plus doux et négociait, mais là c’était juste hors de question. Il ne se connaissait pas aussi buté, mais finalement, c’était le caractère qu’il avait acquis en traversant la vie.

Une fois délesté, on lui mit une couverture de survie et on lui proposa d’aller dans l’ambulance. Il ne refusa pas, préférant être au chaud. Le bras était douloureux.

« Ca n’a pas l’air cassé. Ca serait mieux de faire une radio pour vérifier.
- Désolé, je vais être embêtant, mais je ne préfère pas. Je travaille demain matin à sept heures. Je pourrais venir à l’hôpital après mon travail. »

S’en suivit une longue négociation avec l’infirmière. Gentille, elle essayait de lui expliquer que sa santé était plus importante que son travail, peut-être, mais s’il n’avait rien pour payer son loyer, sa santé serait le dernier de ses soucis. Elle s’offusquait même qu’il pensât se rendre au travail le lendemain. Léonard ne plaisantait cependant pas. Il irait au travail. La négociation était faite : il s’y rendrait demain après le travail ou l’infirmière irait le rechercher par la peau. Il était sûr qu’elle ne plaisantait pas. Elle lui appliqua de la crème et des bandages sur ses bleus douloureux et le médecin lui fit une prescription avec la crème, les antidouleurs et l’invita à reconsidérer sa décision, mais Léonard était têtu. Il signa le document disant qu’il acceptait les risques et le médecin fit son rapport à l’agent du Bur.

« Il est à vous, il refuse définitivement de venir avec nous pour faire une radio, on s’arrête donc ici. Mais on compte sur lui pour passer demain après son travail. »

Léonard était certain que le médecin et l’infirmière étaient parents. Cela expliquerait leur entêtement et leur idée de le prendre pour un enfant qui faisait sa petite crise d’adolescence. Le blondinet se rapprocha donc de l’agent qui l’avait aidé.

« Je dois venir faire ma déposition avec vous ? Y’a possibilité qu’on emmène mon vélo ? Je n’ai pas envie qu’on me le vole. »

Il ne s’en séparerait pas, dans ce quartier, il serait piqué à la minute ou il l’aurait hors de vue.

Lundi 22 janvier 2024

Léonard était rassuré en entendant que la déposition pouvait attendre demain. C’était un soulagement pour lui. Il avait juste envie de se poser dans son lit et de s’endormir après avoir pris une bonne douche. Son appartement pourri avait au moins l’eau chaude. Quand ça fonctionnait bien, mais la majorité du temps, cela fonctionnait. Il ne s’attendait pas forcément à se faire raccompagner. La police ne faisait pas vraiment partie de ses allliés habituels, quand ils venaient chez lui, son père, le pilier de la famille quittait pour un temps plus ou moins long. Certes, son père avait commis des méfaits, et il était du BUR, pas de la police qui arrêtait les criminels humains, mais dans son imaginaire, ils restaient apparentés.

« Je veux bien, j’habite a environ cinq minutes d’ici. »

Léonard allait relever son vélo, faisant fis des douleurs à ses bras, retournant le guidon dans le bon sens, revérifiant que tout allait bien. Son tas de ferraille roulait parfaitement. Heureusement ! Il se rapprocha de l’agent du Bur, lui montrant la direction pour se rendre vers son immeuble. Il aurait préféré ne pas montrer son lieu d’habitation, mais il préférait éviter une nouvelle altercation pour ce soir.

Depuis le temps qu’il y vivait, Léonard était un expert de Whitechapel. Il connaissait la population, les affres des lunes, c’était bien pour cela que c’était plus sécuritaire pour lui de s’y rendre en vélo : il pouvait pédaler à toute vitesse en cas de danger. Avait-il été imprudent ce soir ? Peut-être, il serait sans doute bien plus méfiant dans les prochains jours. S’il avait été énervé, il aurait pu répondre que les agents du Bur auraient pu être présents en nombre lors de ces évènements pour protéger les citoyens, surtout en sachant qu’il y en avait une forte population de solitaires et de déviants dans cette section, mais bon… Whitechapel ? Il éluda cela de son esprit et remercia simplement l’agent qui l’aidait à porter le vélo.

« Oh, merci, c’est gentil. »

Malheureusement, aucun collègue n’habitait dans le secteur et surtout le travail d’agent de ménage était un travail solitaire.

« Malheureusement, je n’ai pas de collègue, mais j’essayerai d’être plus prudent. »

Ce n’était pas sa faute, mais il essayerait de mettre plus de moyens de son côté pour éviter que ça ne se reproduise.

Ils se rapprochaient petit à petit d’un petit immeuble, cinq étages, sans extérieur, un portail fracturé, la peinture métallique des barreaux avait presque disparu, l’immeuble n’était pas en très bon état non plus, des fenêtres aux cadrans de bois, des peintures écaillées, quelques fissures, une porte d’entrée réparée à de nombreuses reprises. Le décor n’était pas avenant, mais son chez lui était sa bulle.

« Nous sommes arrivés. Merci de m’avoir accompagné. Je viendrais demain après avoir finit le travail, vers dix heures. »