ft.Jason Hawke
Wolf in sheep's clothing
Usine désaffectée, bermondsey ๑ 22 février 2024
— T’es toujours là, Beau ?
La voix grave et empreinte de fatigue d’Alijah émergea des ténèbres. Sa silhouette se découpa dans la faible lumière du bureau, tandis que Beau redressait la tête de ses dossiers éparpillés. Dans les yeux de son mentor, une pointe de jugement et d’inquiétude, mais la trentenaire fit mine de rien remarquer ; à quoi bon s’excuser ? Le vieil homme connaissait ses habitudes ainsi que sa dévotion au travail. Un soupir échappa aux lèvres abimées d’Alijah, Beau y répondit avec un sourire faussement gênée. Pour sa défense, elle n’avait pas vu les heures défiler ; l’un de ses plus vieux et beau défaut.
L’air de rien, elle reposa ses feuillets noircis de notes en tout genre avant que ses yeux chocolat n’avisassent l’horloge accrochée au-dessus de la porte de son bureau.
— C’est fou comme le temps passe vite quand on s’amuse, non ?
Un grognement mécontent lui intima le silence. L’inspectrice ne chercha pas à rétorquer cette fois-ci, sentant bien que son aîné ne lui passerait pas ses excès. Il paraissait véritablement écrasé par le poids de son travail comme de son inquiétude pour elle. L’âge n’arrangeait rien pour lui, ni pour personne malheureusement ; en dehors des surnaturels, bien sûr.
Beau le détailla un temps sans mot dire, avant de rassembler ses affaires.
— Je n’allais pas tarder de toute manière, j’ai une grosse journée qui m’attends demain.
— En fait, faudrait que tu ailles voir du côté de Bermondsey… Je viens de recevoir un appel au sujet d’un potentiel déviant qui rôderait dans les parages.
Il n’était pas difficile de sentir l’agacement dans sa voix. La trentenaire le connaissait suffisamment à présent pour reconnaître la fine pointe d’énervement qui ponctuait ses phrases. À coup sûr, Alijah s’était rendu dans le bureau de Beau avec l’espoir qu’elle fut déjà partie ; un souhait bien vain étant donné les habitudes nocturnes de l’inspectrice.
— C’est sûrement rien, reprit Alijah en se massant l’arrête du nez, mais ça vaut la peine de vérifier.
Beau acquiesça d’un hochement de tête. Le BUR ne pouvait pas se permettre de laisser quelque déviant se promener dans les rues impunément, en particulier si ce dernier représentait un danger pour lui-même et les autres.
Elle récupéra son arme de service ainsi qu’une petite pile de papiers ; du travail qu’elle se réservait en cas d’ennui ou d’insomnie.
— J’y vais de ce pas.
Alijah lui adressa un mouvement de tête, après quoi il retourna à son propre bureau. Beau n’essayait même pas de l’en dissuader, elle savait que l’homme la recevrait avec un regard noir et une réplique bien sentie. En revanche, lorsqu’elle rejoignit enfin sa voiture, la trentenaire songea qu’il lui faudrait intercéder auprès de leurs patrons dans les jours à venir. Alijah méritait des vacances, de belles et longues vacances afin de profiter pleinement de sa famille qui vivait loin d’ici.
Après avoir jeté un dernier regard aux locaux du BUR, Beau démarra le moteur et se rendit au lieu convenu. Nul ne se trouvait dans les rues à cette heure tardive, et rares étaient les lampadaires éclairant ces dernières. Le quartier n’était guère vivant de nuit, contrairement à nombres de ses voisins qui vomissaient chaque soir leurs musiques et couleurs de toutes sortes.
Elle fit le tour du quartier une première fois en voiture, jetant des regards furtifs aux bâtiments déserts, aux minuscules allées et aux quelques usines abandonnées depuis bien des années. Ensuite, elle gara son véhicule à plusieurs rues de là, s’armant de son téléphone et de son arme puis se glissa furtivement entre les rues et ruelles vides de vie.
Ses pas la conduisirent jusqu’aux limites de Bermondsey, mais nul déviant ne semblait se terrer dans les environs. Un peu dépitée, Beau appréciant plus que quiconque la poursuite d’un surnaturel, elle se résigna à rebrousser chemin lorsqu’un bruit singulier attira son oreille.
En pivotant sur elle-même, l’Inspectrice aperçut une ombre vive et élancée se glisser dans les ombres d’une usine désaffectée. Un sourire ravi étira la commissure de ses lèvres ; finalement, la soirée ne serait peut-être pas aussi morne que prévue.
Soudain enthousiaste, Beau se fondit dans l’ombre de l’inconnu. Elle escalada le grillage sans peine, l’esprit emplit de questions et de théories au sujet de sa proie. Malheureusement, ses trop fortes émotions l’amenèrent à bien vite balayer la discrétion et elle sut, à l’instant même où sa jambe renversa une épaisse et lourde planche rongée par le temps, que l’inconnu l’avait remarqué.
— Hé merde !
Faisant fi de toute prudence, Beau accéléra le pas, trottinant dans les couloirs de l’usine avec l’espoir de coincer sa proie. Ayant oublié sa torche dans la voiture, l’Inspectrice dégaina son téléphone afin d’éclairer un minimum son chemin. Elle manqua de s’écrouler ou de glisser sur quelques débris à trois reprises, mais rien n’entacha sa hargne.
Vive, la trentenaire ne tarda pas à gagner les sous-sols de l’usine. Et, tandis que ses yeux examinaient les ombres découpées par la lumière blanche et perçante de son téléphone, un mouvement sur sa droite attira son attention.
— Je ne suis pas certaine qu’un déviant trouve quelque chose de vraiment intéressant dans ce genre d’usine abandonnée.
Sa lumière dévoila un jeune homme au sac épais.
— Tu t’es bien gourré de chemin si tu voulais fuir. Décolle-toi du mur, tu ne disparaîtras pas même si tu t’y colles très fort.
chandelles