Tu marches, l’air tranquille et franchement bien sapé. Tu reviens d’une soirée sympa – clairement pas de travail, sinon t’y serais encore – où tu as pu sociabiliser un peu, discuter avec des collègues … T’éclipser dès que l’odeur des petits fours t’est devenue insupportable. Même si tu t’es habitué à ton incapacité chronique à manger quoi que ce soit de consistant, ton odorat s’entête à te rappeler ce que tu manques. Et après une longue nuit de travail, ou quand t’as franchement pas le moral, ce qui est d’habitude un détail te pèse lourdement. La mélancolie n’est jamais loin, n’est-ce pas ?
Tu vois la demeure Redcastle et, avec ces murs en briques que tu connais par cœur, l’espoir de prendre un peu de temps pour te reposer. Tu ne peux faire quelques pas sans croiser des londoniens de sortie, habillés plus ou moins légèrement. Étrangement, moins ils ont de vêtements et plus ton regard s’attarde. Depuis quand n’es-tu pas sorti ? Genre … SORTI, Harper ? Tu sais, une vraie soirée entre potes, à picoler au milieu de ces humains qui vivent à fond, sans se soucier du lendemain. Ça pourrait te faire du bien, non ?
Tout ce que tu vois, c’est le risque, les conséquences ; la peur. De te lâcher, d’être toi-même : cet autre que tu crains autant que tu envies et retiens de s’échapper. De vivre. Tu soupires longuement à cette pensée déprimante, les mains bien au fond de tes poches. Peut-être que ce soir, tu taperas dans la réserve de la ruche et t’enverras un bon verre de Whisky. Quitte à finir la gueule par terre et noyée dans tes regrets, autant faire ça bien ?
Au loin, tu vois un petit groupe autour d’un type allongé. Tu supposes que celui-là a pris de l’avance, ou qu’il a picolé pour deux et qu’il spoile la fin de soirée qui t’attend, toi aussi. C’est quand tu en voies deux s’agiter que tu commences à avoir un doute ; qui se confirme quand tu reconnais une des têtes au loin.
- Qu’est-ce qu’il a encore fait, ce con ?
William est un vampire de la Ruche. William aime sortir et collectionner les conquêtes. William est putain de territorial. Et tu supposes que William a encore fait des siennes, puisqu’il n’est pas à terre ou au chevet de celui qui a du bien morfler. Une dizaine de pas plus tard et tu peux sentir, voir le sang par terre et sur la face du pauvre hère. Et t’accélère le pas, un plan déjà en tête. Tu te présentes spontanément aux deux femmes à moitié en panique pour les rassurer :
- J’suis médecin. Que lui est-il arrivé ?
Tu sais très bien ce qu’il lui est arrivé. Ou t’as une très bonne idée, en tout cas. Ce que tu ignores encore, c’est l’étendue des dégâts. Si tu peux gérer seul ou s’il va falloir appeler les secours … Et gérer les conséquences. Avant même de te soucier du blessé, tu veux écarter la plus grande source immédiate de danger. Agenouillé au chevet de ton patient, tu lèves le regard vers ton semblable et lui ordonnes, comme si tu avais la moindre autorité sur lui :
- Will, va chercher ma sacoche. Et préviens l’bras droit.
- Tu m’as pris pour ton chien, Harper ? Tu vas pas t’occuper d’ce clébard ?! C’est lui qu’a commencé, il …
- Soit je m’occupe de lui et t’as une chance de t’en sortir en t’excusant. Soit j’appelle les secours, qui appelleront les flics. Et tu te démerdes avec le BUR, puis Edward. Your call.
T’as ni la patience, ni l’envie de gérer à sa place. Lui imposer un non-choix est beaucoup plus efficace ; satisfaisant, aussi. Tu le vois grommeler et filer d’un pas rapide vers la Ruche. Parfait. T’as pas besoin de ton matériel dans l’immédiat, ton téléphone et des questions suffiront pour commencer.
- Hey, tu m’entends ? Comment tu t’appelles ?
Tu as déjà posé tes mains sur son visage, que tu auscultes rapidement. Elles passent aussi à l’arrière de son crâne, faisant attention à ne pas trop le déplacer dans l’immédiat. Tu attends de voir s’il peut te répondre quelque chose de cohérent avant de continuer :
- Tu sais où on est ? Est-ce que tu peux te redresser ?
C’est peut-être un peu tôt, ou ambitieux. Mais ça te permettra aussi de jauger s’il faut ou pas appeler les secours immédiatement. A fixer son visage pour y trouver des indices, tu bloques quelques instants sur ses piercings. D’abord pour t’assurer qu’aucun n’a été arraché par les coups ; puis tu te demandes si tu ne les as pas déjà vus quelque part … Des types avec des piercings, t’en vois passer tous les jours, Harper !
Mais t’as peut-être pas tort !