« Tu sais, c’est beaucoup plus administratif qu’on a tendance à le croire… »
Pas très loquace quant à ton travail, c’est surtout par désintérêt d’assommer quelqu’un de termes imblairables, de réalités banales, un ordinaire qui ne fait rêver personne, finalement. Tu as le bon goût de le faire rire, c’est déjà ça ! Un peu plus à l’aise, maintenant que tu le vois davantage détendu, tu te rends compte que tout ceci n’est peut-être pas complètement orthodoxe. Un agent du BUR qui escorte, comme à la sortie du lycée, un jeune homme dans un bar pour lui payer un verre et lui parler de la pluie et du beau temps… Il y aurait de quoi se poser des questions, légitimes qui plus est.
Désinvolte quant aux conséquences inexistantes - en es-tu persuadé - de cette conduite douteuse, tu te laisses emporter par les propos du petit et te laisses cueillir comme un bleu par ses paroles. Comment peut-il oser être aussi… Un hoquètement te soulève le cœur, il aura sympathisé avec toi, sur cette histoire d’horaires, mais surtout… Il te délivre une petite capsule de bonheur, celle tant recherchée ce soir. Tu n’es pas déçu du détour, tu ne l’attendais plus, pour tout dire, ce moment où il saurait ravir ton cœur à l’étreinte pourtant serré de ta cage thoracique.
Le voir, lui, aussi vulnérable, mais tout de même fier comme un paon, te rendre sans détour ta proposition de lui fournir de l’aide en cas de besoin, une pépite. Si ça avait été un plat dont tu aurais pu te sustenter, de t’en serais lécher chaque doigt, méthodiquement. Tu réprimes de mieux que le puisse l’envie d’éclater de rire. Non pas que tu n’ais pas envie de partager avec lui ton hilarité, plutôt que tu aurais peur de comment il pourrait prendre la nouvelle. Tu n’as aucune envie de te moquer de son élan, absolument adorable au demeurant. C’est simplement que les mots te manquent pour lui signifier à quel point il peut être mignon, présentement.
Tu soupires, évacuant maladroitement ton amusement mal placé entre deux souffles, les yeux ronds, paume de la main sur le dessus de la table, sur laquelle tu t’appuies. Faut-il que tu parviennes à conserver ta contenance. « Léo ?.. N’est-ce pas. Je prends bonne note de ta proposition et je ne manquerais pas de te faire signe si jamais je rencontrais un problème sur lequel tu pourrais m’aider. » Tu lui réponds avec tout le sérieux dont tu es capable, plante ton regard dans le sien. « Maintenant, je ne voudrais pas abuser de ta compagnie pour ce soir… Est-ce que tu voudrais que je t’appelle un taxi ? »
C’est que l’aiguille de l’horloge tourne plus vite, en bonne compagnie.