« Léonard ! » La pulpe de ton majeur et de ton pouce se rencontre avant que le premier ne se précipite contre le second, dans un claquement de doigts assez caricatural. « Est-ce que je peux t’appeler Léo ? » Tu lui demandes ça, le plus naturellement du monde, sans gêne. Vous vous êtes rencontrés, le temps d’une soirée, y a un bail de ça et en plus de l’inviter à boire un verre de nulle part, tu lui accoles un petit surnom ? En faire trop, tu ne sais pas ce que ça pourrait vouloir dire, tu en as envie, tu le fais. Il n’y a quand même rien de répréhensible à s’enquérir du bien-être d’autrui ! Maintenant, si cela fait jaser, amène à se poser question, tu sais que ça parle bien plus des autres que de toi.
Finalement, il décide de décliner à demi-mots. Il est si mignon, qu’il n’ose même pas dire non. Tu voudrais t’en lécher les babines par anticipation, mais préfères éviter. Après tout, si tu te préfères à agir à ta guise, tu n’as aucune intention d’effrayer qui que ce soit et – par expérience – tu sais que cela peut signifier beaucoup de choses, toutes très différentes, pour un diurne. L’idée n’est ni de lui faire du rentre-dedans, ni de l’effrayer. Tu souhaites simplement prendre de ses nouvelles, t’assurer qu’il aille bien et au détour de la discussion récolté cette sacro-sainte reconnaissance, dont tu manques tant. Un peu décontenancé par ton aisance ou simplement perplexe face à cette proposition soudaine, le jeune homme prend quelques instants pour peser le pour et le contre.
Alors que tu hésites au bien-fondé d’user activement de ton charme vampirique pour arriver à tes fins, voilà qu’il en arrive à une conclusion. Il décide de simplement t’exposer la situation telle qu’elle est, avec une certaine concision. Tu souris amplement, les yeux plissés. « Je ne me rétracterais pas, je comprends tout à fait ! » De ta posture voûtée, nonchalante, tu te redresses, plus alerte. « Je peux aussi bien t’attendre ici, si je ne t’embête pas trop, comme au bar, je trouverai bien de quoi m’occuper ! Auquel cas, j’aurais simplement besoin de ton numéro, pour te transmettre l’adresse. » Tu luttes pour ne pas conclure ta phrase sur un clin d’œil. Les attitudes que tu auras prises avec Chloé ressortent. Ce n’est pas pour rien que tu t’estimes paternaliste envers certains humains, tu l’es.
Le seul problème, c’est qu’aussi jeunes soient-ils, ils interprètes, la plupart du temps, tes gestes comme un jeu de séduction – ce qui n’est pas toujours pour te déplaire – plutôt que comme les manières d’un papa cool. Tu fais donc ton possible pour limiter les dégâts. Cependant, la mine rayonnante que tu affiches, ce sourire satisfait, un brin taquin, la façon dont tu dodelines en jouant des doigts contre le bois du bureau. Tout pourrait aussi bien indiquer la conduite amourachée d’une adolescente. Dans l’ensemble, tu te veux rassurant, le conforté dans l’idée que tu es – relativement – disponible et que tu peux te permettre de prendre le temps avec lui. Machinalement, tu sors ton portable à clapet, la chaînette qui l’accompagne et le cœur rose transpercé d’une flèche au bout.