Le géant se décide à te serrer la main, dans une poignée assez rude. La simple pression de ses doigts contre ta peau est écrasante. Tu ne te sens pas plus fier que le roseau face au chêne, bien qu’à la différence de l’arbre, il est tout à fait capable de te rompre. Lorsqu’il se retire, sans plus cérémonie, tu perds le contact involontairement chaleureux de ton interlocuteur. Dans un geste machinal, tu frottes ton pouce contre ses compères. Le contact a été rugueux, digne d’une personne qui travaille de ses mains. Qu’est-ce qui pourrait s’en rapprocher pour lui ? Peut-être le signe qu’il fréquente les salles de sports pour entretenir son physique de gorille. Tu penses ça, sans le moindre jugement de valeur. Il t’arrive de te retrouver, sporadiquement à travers l’année, dans de tels lieux.
Satisfait de la probabilité de ton hypothèse, tu relèves jusqu’au sommet de ton front, tes lunettes de soleil. De sorte à ce que les deux lunes opalines qui lui servent d’yeux puissent saluer brièvement tes disques d’obsidienne. Tu aurais vraiment envie de croire qu’une entente est possible. « Scott Whiteheel, agent de sécurité, et responsable de l’état de votre... protégé. » Il eut été difficile de se tromper davantage… La déclaration factuelle du colosse te désarçonne, de façon à ce que tu ne saches pas quoi lui rétorquer. Pure audace ou de la simple désinvolture ? A-t-il conscience qu’il aurait bien mieux valu que cela arrive lors de l’appréhension, pas un coup direct dont la pertinence va être nettement plus compliquée à justifier ? Tu lances un regard furtif à Harvey, qu’il continue de se taire.
Il pourra toutefois trouver dans ton regard que l’éclat d’une plus grande compréhension y brille à son égard. En face, bras croisés, le mastodonte lâche un soupir, lourd de contrariété. Tu n’es pas certain de bien tout comprendre. Il ne se rend réellement pas compte qu’il pourrait très bien avoir des problèmes, lui aussi ? La chose semble complètement être ignorée par le dénommé Scott, à moins qu’il n’en ai juste rien à faire ou pire, qu’il se sente inattaquable, dans son bon droit. Bien peu de chose savent te mettre plus en colère que les abrutis qui se croient au-dessus des lois. Qu’il s’agisse de puissants ou de péons, de membres de la police, de magistrat ou de politiciens. À cette pensée, tu ne peux t’empêcher de tiquer, inconsciemment. Ta langue vient percuter le dos de tes dents, avant de se rétracter dans un bruit de succion caractéristique de ta désapprobation.
Cela pourrait vouloir dire que, malgré le portrait sérieux que ton collègue avait brossé des agents de sécurité, ta théorie d’être tombé sur des cow-boys demeure plausible. Décidément irrité par la perspective d’avoir à gérer une situation aussi délicate avec un bestiau de cette taille comme interlocuteur, tu pestes d’avance, intérieurement cette fois. Il s’avance vers toi et fait peser sur toi toute la démesure de ses mensurations. S’il avait essayé de t’intimider, ça n’avait pas marché. Mais bien que la pensée te traverse, ça n’a pas l’air d’être le cas. « Je suis persuadé qu'il n’a rien sur lui. » Plus que pour maintenir le contact visuel, tu aurais l’envie de simplement jeter tes pupilles au ciel. Comment ça, persuadé ?
Le dos cambré vers l’arrière, légèrement, tu inclines imperceptiblement la tête sur le côté, dubitatif quant à ce que te raconte l’agent. Mais, par quel truchement absurde est-on persuadé qu’il aurait bien commis le méfait alors ? Les images doivent être éloquentes sur sa culpabilité, dans ce cas. Pris la main dans le sac, ce manque de finesse ne te surprendrait pas du spécimen toujours installé à côté de vous. Tu attends un instant, histoire de t’assurer qu’il n’ait plus rien à dire, mais il sourit à demi en se précisant ne pas être stupide. Tu ne connais que deux catégories de personnes à tenir de tels propos. Les génies mégalomanes et les imbéciles heureux. Retenant tes pulsions de le scruter de bas en haut dans une attitude hautaine, tu l’associes plutôt à la seconde.
Perplexe, tu écoutes patiemment ses arguments, sans broncher. Tout ce que tu entends, ce sont des présomptions, mais aucune preuve, encore moins concrète. Si tu gardes pour toi ton analyse de la situation, il n’aurait même pas réellement de mobile clair pour commettre un tel acte. Dans l’ensemble, tu as la sensation que la situation t’échappe complètement et ça ne te plaît pas du tout. Ce que tu sais, en revanche, c’est que le groupe que l’homme représente compte, en effet, tenir Harvey pour responsable de ce vol de.. ? Le grand dadais n’aura pas eu l’amabilité de te préciser de quoi il était question, exactement. Tes sourcils se froncent sous les maux de tête qui commence à t’enserrer le crâne, gentiment.
« Je tiens également à rentrer chez moi avant que la lune ne se lève. » Tu as beau essayer de repasser les éléments à ta disposition dans tous les sens, rien ne t’apparaît très clairement. De plus, tu n’arrives définitivement pas à jauger qui se dresse en face de toi. Est-ce une personne censée et intuitive qui se sera pris pour un justicier, mais qui aurait à cœur de bien faire, ou s’agit-il d’un malade pour qui la violence est un loisir et qui cherche seulement à écraser un de tes congénères ? Ça n’est pas parce que tu n’as pas les tiens en haute estime, que tu fermerais les yeux sur les exactions d’une brute. De plus, les victimes de la soif ont une place particulière dans ton cœur et bien que tu aies des scrupules à le reconnaître, ça pèse son poids dans la balance pour déterminer à qui tu souhaites faire confiance.
Tu retiens un soupir, l’atmosphère n’a clairement pas besoin de ça et remarques, enfin, des collègues à toi, s’affairer un peu plus loin avec une réceptionniste. Si la cavalerie est déjà arrivée, il a bien déjà été fouillé une première fois ? C’est peut-être bien justement ce qu’essayait de dire le grand bonhomme baraqué tout à l’heure… Le cerveau toujours à la sieste, il est peut-être tant de se réveiller, te dis-tu. « En premier lieu, serait-il possible de demander à quelqu’un un café ? » Oui, ça rend malades les vampires de boire des spécialités humaines, mais peu importe, tu as trop envie des effets de la caféines pour avoir se genre de scrupules. « De préférence avec du lait et du sucre.. » Tu prononces cette seconde phrase avec moins d’aplomb que la première, conscient de peut-être abuser un peu sur ta nonchalance, au vu de ce que risque ton protégé.
Tu avais déjà commencé à te pencher vers Harvey et ne te seras retourné vers Scott que pour compléter ta demande initiale. Tu l’inspectes à nouveau, plus méticuleusement. « Il m’a pété la gueule ! Et il en a rien à foutre, ce fouuu... » Tu enfonces tes doigts dans les joues du jeune vampire, en lui attrapant le visage, ce qui le force à s’arrêter dans sa nouvelle tirade. Sans ménagement, tu inclines sa tête dans différentes directions pour mieux l’étudier. Il n’a été victime que d’un seul coup, ses pupilles révèlent sa faim latente, mais il n’en est pas au stade de la folie furieuse, causée par l’appel du sang. Même s’il se plaint beaucoup, qu’il parle trop, tu ne saurais dire si Harvey à ça en lui. Oui, il pourrait avoir ce genre d’idée fumeuse d’améliorer sa situation par de telles méthodes. Mais est-il allé au bout, peut-être a-t-il seulement considéré la chose trop sérieusement ? De là à affirmer qu’il est passé à l’acte…
Il te faut tout de même préférer croire qu’il a effectivement commis un tel méfait. Dans le cas contraire, il te faudrait prouver son innocence en démasquant le vrai coupable, ce qui n’est pas tout à fait aligné avec les désidératats de ton vis-à-vis… « Je suis complètement d’accord avec vous sur le fond. Il me faudra simplement m’assurer que nous soyons sur la même longueur d’onde sur la forme. » Faire en sorte que chacun puisse rentrer chez soi au plus vite, oui. Accusé à tort un innocent, sur la seule base de présomption de culpabilité, certainement pas. Accroupi à côté du déviant, tu relèves tes prunelles sur l’homme à côté de vous, dans une diction aussi neutre que formelle. « Vous serait-il possible de me dire ce qui a été volé, où et quand ? Ainsi que de me laisser accéder aux enregistrements concernés ? » Tu adorerais tirer les vers du nez d’Harvey, le questionner davantage sur sa version des faits. Mais, avec le don qu’il a pour se tirer d’un faux pas pour plonger dans le suivant, tu préférais qu’aucune autre oreille que les tiennes ne soit témoin de ses élucubrations.