Catnapping
Regent's Park ◈ Printemps 2024 ◈ Ft. Blair Gallagher
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J’ignore ce qui m’a pris d’aller au cinéma. Peut-être l’invitation d’Evrard, qui n’avait pas envie d’assister à la séance seul - ou qui avait peut-être besoin de quelqu’un à ses côtés pour râler sur le film, et qui le comprendrait. Un sourire en coin ne l’a d’ailleurs jamais quitté, tout du long qu’il m’écoutait avec grande attention vitupérer contre ce long-métrage de pacotille. D’autres spectateurs m’ont m’ont glissé un regard stupéfait à la sortie, à force de m’entendre pinailler sur presque tous les points du film, alors qu’eux ont bien apprécié. Je ne peux pas leur en vouloir d’apprécier un film aussi médiocre - ils ne savent pas. Pour eux, un film d’espionnage ne peut exister sans de beaux costumes sur mesure, des fusillades à tire-larigot sans avoir besoin de recharger une seule fois, et sans jamais tâcher la tenue impeccable.
Et bien sûr, une blessure par balle n’a guère plus d’importance qu’une petite coupure.
Evrard s’est amusé à compter le nombre de fois où j’ai soupiré et roulé des yeux durant la séance, exaspérée par cette démonstration de médiocrité sans nom. A croire que se renseigner est devenu superflu, une démarche parfaitement inutile pour satisfaire le spectateur, au lieu de lui offrir un divertissement palot et qui ressemble à n’importe quel autre du même genre. On change les noms des personnages et des lieux, on modifie trois lignes d’intrigue pour donner l’illusion de la nouveauté, et on a un nouveau film.
Pour la peine, Evrard m’a acheté une gaufre au chocolat, avec une belle dose de chantilly. Je ne l’ai pas mangée, bien sûr, mais j’ai profité de cette douce odeur si agréable. Et tant pis pour Evrard qui a ensuite mangé la gaufre froide ; ça lui apprendra à jouer avec mes nerfs de la sorte. C’est de bonne guerre, j’ai envie de dire.
On a vadrouillé ensemble un moment dans les rues de Londres, à profiter de ce moment paisible loin du travail, puis on s’est séparés ; il a des affaires à régler de son côté, en lien avec sa meute. Des affaires qui ne me concernent pas, en dépit de toute l’affection qui nous unit.
Seule, j’ai continué de me promener sous le clair de lune. L’arrivée du printemps chasse le froid hivernal, et les nuits se font plus douces. Le froid ne m’a jamais empêchée de me balader - une bonne écharpe et la question est réglée - mais j’apprécie cette douceur ambiante qui rend les nuits si agréables.
Des miaulements plaintifs attirent toutefois mon attention. Je redresse la tête, ralentis le pas, et par réflexe, ma main droite fond dans mon manteau pour serrer la crosse d’une arme. Je ne relâche jamais ma vigilance, même si tout porte à croire que ce miaulement provient d’un chat esseulé et blessé, et qu’aucun danger ne me guette. Personne ou presque ne résiste à l’appel de détresse d’un animal, alors quoi de mieux pour tendre une embuscade ?
Certains me jugent sans doute paranoïaque, mais un surplus de prudence est toujours préférable à la mort.
Ma vigilance se détend lorsque mes yeux tombent sur un carton abandonné au coin de la rue, avec une tripotée de chatons à l’intérieur qui miaulent à tue-tête - et personne aux alentours. Pas une note non plus, rien. Des chatons de quelques semaines à peine, lâchement abandonnés par des humains qui n’ont aucun respect pour ces petites bêtes.
Après un instant d’observation, j’attrape mon téléphone. J’appellerai bien Evrard, mais il m’a prévenu qu’il ne serait pas disponible avant demain. Alors j’appelle la seule autre personne digne de confiance à mes yeux.
Je l’appelle d’ailleurs sans aucune considération de l’heure tardive.
— Salut, Blair ! Comment tu vas ? Le sourire dans la voix, je ne l’assomme pas immédiatement avec ma requête. Tu crois que tu pourrais me rejoindre à Regent’s Park ? J’ai besoin d’un coup de main.
Je ne demande jamais grand chose à mes proches, alors Blair se doutera que c’est important - d’une certaine façon.