— Arrête avec tes excuses ou j’te les fais bouffer.
Évidemment que les excuses ne règlent rien. Blair rirait presque avec amertume de la ressemblance entre Jason et lui-même plus jeune. Deux pièces sorties du même moule, vraiment. Est-ce une punition pour avoir tourné le dos à ses parents ? Aurait-il dû rester sous leur autorité, alors même qu’il ne se supportait plus ?
Si un Dieu existe, alors il n’est en rien bienveillant.
Blair ignore cependant comment dialoguer avec Jason sans rajouter de l’huile sur le feu, à ce niveau-là. Si ses excuses ne paraissent pas sincères, alors pourquoi croirait-il n’importe quel mot qui sortirait de sa bouche ? Peut-être devrait-il partir et laisser le temps à tous deux de redescendre en pression. Le loup-garou aura ainsi la possibilité d’obtenir des conseils de Payne ; il sait ce qui s’est passé avec Claire, après tout.
Jason ne lui en laisse cependant pas l’opportunité et frappe dans une blessure qui n’a jamais cicatrisé.
Si c’est comme ça que tu t’occupes d’un gosse, j’imagine même pas avec un chat.L’espace de quelques secondes, le silence. Puis le visage blafard de Neil se superpose à celui de Jason et toujours le silence écoeurant, poisseux par-dessus lequel ses souvenirs hurlent.
Des corps sous des draps blancs.
Moira qui secoue son frère qui ne se réveillera plus jamais.
Rudy dont les yeux ne sont pas fermés.
Du rouge sur les taches de rousseur de Neil.
Payne qui le tire loin des siens, Tony qui serre Moira dans ses bras.
L’angle étrange du bras de Neil.
L’alliance de Rudy couverte de poussière rougeâtre, sur le sol.
Son fils, si petit, dont il ne trouve pas le poul sous ses doigts
Moira qui hurle à la mort, refusant de lâcher son frère.
Le déni.
Pourquoi ?
L’horreur.
Des hurlements.
POURQUOI ?
Ses hurlements.
Le vide.
L’air qui n’atteint plus ses poumons.
L’Alpha qui se plaint de la présence du BUR.
Rudy froide au toucher, le visage figé par la douleur.
Neil, son médaillon de St Andrew serré - planté - dans sa paume.
L’enfant que Blair n’a pas su protéger.
Les fils qui ont souffert par sa faute.
Blair inspire, lève inconsciemment les mains en l’air pour montrer qu’il n’est pas dangereux.
—
D’accord. D’accord.Une première fois, hésitante, une seconde pour reprendre ses esprits et se cacher derrière un masque neutre. Jason ne saura pas ce qu’il vient de briser. Ce n’est pas aux enfants de gérer les problèmes de leurs parents. Ce n’est pas à Jason de ramasser des pots cassés bien avant qu’il ne le rencontre. Tant pis si Blair a l’impression que son coeur a cessé de battre, tant pis si les hurlements de ce jour-là tournent en boucle dans sa tête.
—
Je pense qu’il faut mieux que je parte. Bonne soirée.Est-ce vraiment un départ ou une fuite ? Blair n’est même pas certain de savoir comment il ressort du bâtiment. Dans un état second, il envoie un SMS à Tony -
Récupère Momo, stp - et erre dans Londres. Il ne peut pas rentrer dans cet état. Il ne peut pas offrir ce triste spectable à Moira. Qu’est-ce qu’il est censé lui dire, elle qui se faisait une joie d’avoir plus d’informations sur les chats ?
Son portable vibre régulièrement dans sa poche, mais il n’y prête pas attention. Il n’a pas le courage de faire face à ce qu’il sait être des messages inquiets de ses proches. Finalement, ses pas le mènent à l’endroit qu’il évite depuis près de quatre ans. Sur une tombe qu’il n’a jamais eu le courage de visiter après la mise en terre.
Blair s’effondre en silence sur le marbre, alors que la pluie qui commence à tomber se mêle à ses larmes.
Comment peut-il imaginer être un bon père ?