Chronologie :
◈ 25 décembre 1995 — Naissance
◈ Janvier 2014 — Engagement dans l’armée américaine, chez les Marines. Rapidement déployé avec son unité en Afghanistan.
◈ Mars 2020 — Disparition
◈ Août 2021 — Est extradé aux États-Unis
◈ Décembre 2021 — Est mis à pied pour inaptitude ; quitte l’armée par la force des choses
◈ Février 2022 — Retourne dans son village natal. Visite non concluante.
◈ Octobre 2022 — Part à Londres pour rendre visite à Gilchrist Campbell.
◈ Janvier 2023 — S’installe à Londres, en colocation avec Gilchrist
◈ Mars 2023 — Devient bénévole dans une association d’aide aux animaux
◈ Décembre 2023 — Rejoint la Ruche de Lexington en temps que drone
“Jace a disparu depuis plus de six mois, et nous sommes toujours sans nouvelles de lui. J’avais espéré qu’il ressurgirait avec la fin de la guerre et les multiples libérations qui ont eu lieu, mais… Rien. Personne ne s’est ce qu’il advenu de lui. Il a simplement… disparu. Beaucoup m’ont répété qu’il était mort, l’un de ces trop nombreux soldats tombés au combat dans l’anonymat le plus total, mais je n’arrive tout bonnement pas à y croire. C’est stupide, pas vrai ? De se rattacher à un espoir pareil, alors que j’ai parfaitement conscience de l’horreur de la guerre.
(…)
Quelques temps après sa disparation, je me suis rendu chez lui. Ou chez ses parents, plutôt, dans un petit village du Wyoming. L’adresse n’a pas été très difficile à trouver, comme je suis son supérieur depuis le début de son service militaire ; et il fallait bien quelqu’un pour les avertir de la disparition de leur fils.
Jace n’a jamais parlé de ses parents. Il parlait parfois de son village natal, de ses habitants, et de ses environs surtout ; la forêt dans laquelle il adorait s’égarer gamin. Mais ses parents ? C’est en regardant son dossier pour trouver son adresse que j’ai appris que son père était un vétéran américain de la guerre du Golfe, et qui avait quitté l’armée sitôt le conflit terminé pour épouser une infirmière française qu’il avait rencontrée sur le terrain. Une histoire joyeuse, sympathique à raconter, mais Jason n’en a jamais rien dit. Comme s’il était orphelin, dépossédé depuis son plus jeune âge de sa famille. Et quand j’ai rencontré ses parents, je crois avoir compris pourquoi.
Les héros d’une guerre ne brillent pas sur tous les fronts. Ne font pas non plus forcément de bons parents.
Mme Hawke ne m’a même pas fait entrer. Elle m’a laissée sur le perron, méfiante, et a à peine sourcillé quand je lui ai expliqué que je connaissais son fils. Je crois que ma présence l’ennuyait plus qu’autre chose.
Quand son mari nous a rejoints, il a témoigné un peu plus d’intérêt, de l’inquiétude aussi, mais n’a pas osé contredire son épouse.
L’annonce de la disparition de Jason n’a fait ni chaud ni froid à Mme Hawke. Je crois que sa réponse exacte a été “
Ah.”, avant de me claquer la porte au nez.
(…)
Jace m’en voudrait sûrement, lui qui est si secret, mais j’ai essayé d’en apprendre plus auprès des villageois. Ce qui n’a pas été chose évidente. Dans un village aussi petit peu, les habitants se méfient des étrangers, encore plus de ceux qui posent des questions.
J’ai glané quelques ragots, des commérages qui ne se montraient pas tendres envers les Hawke. Un gamin déviant qui blasphémait la religion, une mère qui n’était pas faite pour l’être, et un père qui manquait d’autorité face à sa femme. Un mariage précipité qui n’avait pas été réfléchi, et qui était la cause de toutes ces dérives. A écouter tous ces ragots, il ne fallait pas s’étonner que toute parte à vau-l’eau avec cette famille, notamment le fils - et toutes ces commères se fichaient bien des faits d’armes de Jason (
“comme si cela suffisait à rattraper le reste…”)
Un jeune homme a fini par m’interpeller - et je nie avoir été en train de noyer mon désespoir dans un café au bar-tabac du village. Il a environ le même âge que Jason, à un ou deux ans près, et ont été à l’école ensemble - et ils étaient proches, jusqu’à ce que Jace décide de s’engager.
Austin a accepté de répondre à mes questions, même si j’ai bien senti qu’il passait certaines choses sous silence. S’est-il douté que Jace ne m’avait jamais rien dit ? Ou peut-être était-ce autre chose, je ne sais trop. J’ai parfois senti une pointe de jalousie dans sa voix dont je ne suis pas certain de l’origine.
D’après Austin, Jace n’avait pas vraiment de projet d’avenir. L’armée lui convenait bien ; sans doute se serait-il engagé définitivement après son service militaire. Tout ce qui lui permettait d’être indépendamment financièrement et de ne plus remettre les pieds dans leur village - et de ne plus voir sa famille.
(…)
J’aurais dû m’en douter, non ? Pas étonnant qu’il ne parle jamais de sa famille. Je n’ai pas non plus posé de questions, à dire vrai, mais… j’aurais aimé qu’il m’en parle. Qu’il arrête de se croire seul.
Il n’a jamais parlé d’Austin non plus. Et malgré toute l’affection que le jeune homme porte à Jace, j’ai bien senti que l’engagement de Jace n’était pas la seule raison derrière leur perte de contact.
De toute façon, avec la guerre, on avait autre chose à penser. C’est ce que je me dis. Déployés en Afghanistan pendant plusieurs années, notre survie primait sur tout le reste.
(…)
Tout ne se passait pas comme sur des roulettes à chaque fois. On subissait des pertes, on causait des dommages collatéraux, et on vivait la peur de tomber à notre tour.
Jace en souffrait beaucoup, surtout depuis l’histoire avec Amani Nazari. Avoir causé aussi directement la mort d’une innocente, ça l’a ébranlé. J’ai toujours eu peur qu’il ne s’en remette pas, qu’il décide de mettre un terme à tout ça. Je l’ai soutenu autant que j’ai pu, et on a continué à avancer.
Jusqu’à ce qu’il disparaisse, en 2020.
Les talibans avaient failli nous avoir. Une fuite avait éventé toute notre opération, le piège nous tendait les bras, et on a fui de justesse. C’est là qu’on a été séparés, en essayant de fuir les talibans. La dernière fois que j’ai vu Jace, il fonçait vers la rivière.
J’ai passé des mois à le chercher, à me renseigner dans toutes les villes du coin, mais personne ne l’a vu.
Des collègues m’ont dit de me préparer au pire. Au mieux, il était mort, et son corps n’avait pas été retrouvé ; au pire… il avait été arrêté.
Mais même avec la fin de la guerre, je n’en sais toujours rien. Il s’est tout bonnement… volatilisé.
Comment un homme peut disparaître de la sorte ?”
◈◈◈
‟Jace est… Je…
Il est en vie. Je devrais m’en réjouir, mais… Mon soulagement de le retrouver n’a été que de courte durée. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, pendant ces longs mois où Jace a disparu, mais les suppositions sont légions dans ma tête. Comment fermer les yeux sur son état, sur la lueur dans son regard ? J’ai bien essayé d’arracher des réponses au médecin qui s’est occupé de lui, un certain Campbell, mais il n’a rien lâché.
J’ai passé des mois à ses côtés, à le soutenir de toutes les façons possibles. Je ne l’ai pas abandonné. Je l’ai épaulé dans sa rééducation, dans ses démarches avec l’armée. Mais je n’ai pas l’impression d’avoir Jason à mes côtés, il… il n’est plus que l’ombre de lui-même. Après ce qu’il a vécu, je ne m’en étonne pas, mais… Le voir ainsi est très dur pour moi. J’ai le sentiment d’être impuissant, d’être incapable de l’aider.
(…)
Finalement, l’armée l’a mis à pied. J’aurais dû le voir venir, préparer Jace à cette évidence. Inaptitude physique. Il est incapable de repartir sur le terrain. Et la nouvelle l’a abattu. L’armée, c’est toute sa vie. Son seul plan d’avenir, si je me fie à Austin. Je ne lui ai jamais dit que j’étais allé voir sa famille ; il a déjà assez en tête.
Je n’ai pas pu lui cacher pourtant, quand il m’a annoncé retourner dans son village natal. Ma surprise en a dit plus long que je ne le voulais, mais il ne s’est pas fâché. Son sourire… Il n’a rien dit, mais je pense qu’il a voulu s’excuser de tous ses secrets avec ce sourire si doux.
Quand il est revenu, il n’a pas dit grand chose. Je n’ai pas insisté. Je me doutais bien que tout ne s’était pas passer comme prévu.
Après ça, il a dû essayer de retourner à la vie civile. J’essaye de l’aider comme je pouvais, mais plus rien n’a de sens à ses yeux - et je le comprends.
(…)
Campbell lui a proposé de lui rendre visite à Londres. Jace a rechigné, mais je l’ai poussé à s’y rendre. Ça lui occupera l’esprit quelques temps, au lieu de rester là à vivoter.
Ça lui a tellement occupé l’esprit qu’il a fini par rester.
Je… j’aurais préféré qu’il revienne aux États-Unis. Qu’il me parle, aussi. Encore une fois, il disparaît là où je ne peux l’atteindre.”
◈◈◈
‟Jace m’envoie parfois de ses nouvelles, quand il n’oublie pas - ou plutôt quand il le veut bien. On n’en parle bien, mais je ne suis pas aveugle, encore moins sourd. J’ai bien remarqué que quelque chose s’était cassé entre nous, et… je ne peux rien y faire.
En dépit de toutes nos années passées ensemble, Jace n’a jamais appris à se reposer sur autrui. Sur moi. Et comment lui en vouloir ? Je n’ai pas été là quand il avait le plus besoin de moi.
(…)
Il est devenu bénévole dans une association. Il recueille des animaux abandonnés, veille sur eux au quotidien. Parfois il m’envoie des photos des chatons dont il s’occupe. Ça lui évite de parler du reste.
Je sais qu’il habite toujours chez Campbell. A un moment donné, Jace parlait de trouver son propre appartement, mais je crois qu’il a laissé tomber l’idée. On ne va pas se mentir ; il a beau toucher une pension de l’armée, c’est une misère.
Et même s’il repousse l’échéance, tôt ou tard, il devra se remettre en question et décider ce qu’il veut faire. Il est trop indépendant pour laisser quelqu’un payer ses dépenses à sa place.
(…)
Je ne sais pas ce qu’il lui est passé par la tête.
Jace, rejoindre une ruche ? Je… Pourquoi ai-je l’impression de ne pas le connaître, après toutes ces années ? Il n’a jamais porté les vampires dans son cœur. Il ne les déteste pas, mais il sait qu’ils sont capables du pire comme du meilleur, et il préfère garder ses distances.
Alors pourquoi ?
Quand je lui ai posé la question, il n’a rien répondu. Et je le connais assez pour savoir qu’il ne me dira rien - encore.”
— Riley