Brannon est malheureusement un pur produit de son époque, l'époque victorienne voyait en la femme une éternelle mineure, presque comme un objet de décoration destiné à ne s'épanouir que dans la pureté et la sécurité d'un vase. Les drames de sa vie sont malheureusement d'une banalité affligeante : ceux d'une jeune fille en fleur issue de la bourgeoisie abreuvée par les paroles d'un homme et finissant par tomber enceinte, contrainte de subir une maternité qu'elle ne souhaitait pas à un jeune âge, avant d'être chassée par son paternel, elle et l'enfant illégitime. À partir de là, il n'y avait plus beaucoup d'options pour elle. Au fil des décennies puis des siècles, elle a fini par internaliser cette infériorité conférée par son genre, devenant franchement sexiste à l'égard de la population féminine à commencer par elle-même, mais n'allez pas croire qu'elle apprécie davantage les hommes..

Devenir un vampire à été une chance comme une malédiction, à commencer par la perte de ses êtres chers, comme sa fille morte de la tuberculose à un jeune âge. Elle a servi sa ruche, avec autant de dévouement et de fidélité que l'on pouvait espérer d'elle, elle a aimé sa reine. Ils l'ont protégée d'une existence de misère et elle ne leur en voudra pas pour ça. Mais la loyauté à besoin d'être nourrie, sinon elle a tôt fait de se retourner contre sa cible. Il est difficile de trouver une raison concrète à sa fuite, il y a environ vingt ans, mais ça n'a pas vraiment surpris. La lassitude ? Une existence sans réel but ? Elle était devenue au fil du temps de plus en plus extrême dans ses positions pro-vampire.

Toujours est-il qu'en croyant fuir, elle est retournée à ses vieux démons, la rue n'est guère plus amicale pour un vampire isolé -et encore plus déviant - que pour la jeune femme qu'elle a été. Quitter sa ruche ne fut pas de tout repos, régulièrement traquée jusqu'à finir à bout de souffle, l'absence de sa reine lui provoque un immense sentiment de vide et de tristesse qu'elle entend bien noyer dans le stupre. Elle est tombée rapidement entre les griffes de la pègre, elle n'a pas eu le choix, elle n'aurait pas pu survivre autrement, devenant d'abord une victime de la traite humaine avant de devenir bourreau à son tour.

Impitoyable, elle méprise la faiblesse et en abusera pour parvenir à ses fins, et si elle peut se montrer aisément cruelle ce n'est jamais totalement gratuit. Elle usera de tous les outils mis à sa disposition pour parvenir à ses fins : menaces, violences, extorsion ... Elle n'a plus réellement de limite morale.

Elle incarne aussi à merveille l'hédonisme que l'on a pu attribuer aux vampires à travers l'histoire. Brannon recherche le plaisir autant qu'elle le peut tous les plaisirs, aussi bien physiques, psychiques que sensoriels. Ainsi elle n'est pas une vampire se nourrissant de manière légale autant qu'elle le peut, ça ne veut pas dire qu'elle est incapable de boire au verre quand elle n'a pas le choix. Mais pour elle, la morsure est particulièrement liée aux pulsions sexuelles, puis de vie et de mort.

Incarnant au choix une criminelle, une traîtresse, une hérésie ou un échec d'un système qui montre parfois ses limites, elle n'a plus aucune confiance envers les autres et est un électron libre qui cause régulièrement des dégâts tant elle tend à se radicaliser au fil des années. Consciente que sa fin n'est peut-être pas si lointaine, elle se montre particulièrement méfiante et prudente.  

TW : Meurtre (mention), blessure (mention), violence (mention), prostitution (mention).

I. Three nights with the devil.

Un silence désagréable règne dans la ruelle. Une faible lumière artificielle éclaire cette dernière. La puanteur de la mort et le vrombissement des mouches troublent la beauté de la nuit. Ici la lune ne peut être complice de ce qu'il fallait à tout prix cacher. Les chiens sont partis après s'être battus, parfaitement repus. Ils n'ont pas laissé grand-chose. Elle ose regarder, avec une certaine lassitude. Il n'y a pas de terreur, ou de cri, elle impose un odieux silence à l'horreur. Elle n'était pas tout à fait à sa place, on aurait dit une princesse sortie d'un conte sordide, avec ses longs cheveux blancs qui tombent jusqu'au renflement de ses reins, cet air un peu perdu presque éploré. Le genre de fille dont on transforme les frères en cygnes, ou qui se pique avec une tige de lin.. Avec ses lèvres délicates bleuies par le froid et sa tête droite comme si elle portait une couronne. Un sang rouge vif s'écoule de ses doigts fins, gouttant sur le pavé à un rythme régulier, la douleur est désagréable et monte en flèche.

En réalité, elle est plutôt une bête avide qui flaire les opportunités comme une carcasse faisandée, qui se couche dans des draps en soie vautrée sur son argent bien mal acquis en n’ayant rien accompli qui ne bénéficie à un autre qu'elle. Oh, elle n'est peut-être pas si mauvaise, juste trop paresseuse pour faire le bien. Ce qui est sans doute pire.

Elle qui a souvent été qu'une poupée de chiffon ballotée par des forces plus grandes et plus fortes qu'elle, mais un désir insatiable d'émotions l'oblige à se plonger dangereusement dans les entrailles de cette ville qu'elle trouve tentaculaire, là où se trouve le danger et la sécurité. Et puis avec cet air adulescent, ses longs cheveux blancs et ses grands yeux gris, n'est-elle pas la cible idéale, n'est-il pas facile de la menacer ?

Brannon déteste ce monde et encore plus particulièrement les hommes, pas comme l'on déteste une matière ou un légume. C'est une réaction organique, épidermique, une question de survie. Elle n'a pas toujours pu bénéficier de la protection de la pègre, et combien entre temps ont eu le temps de la malmener avant qu'elle jouisse de la protection de son statut, combien de fois ? À force cela est devenu un élément banal du quotidien, son corps outil précieux est devenu au fil de son existence un véritable champs de bataille dédié à sa réussite et parfois à ses échecs.

Clope dans la main gauche, pistolet dans sa dextre, son bras reposant sur le coude opposé, index sur la gâchette, l'arme est encore chargée, prête à abattre une nouvelle cible. Elle frotte nerveusement le chien contre son front, ses lèvres pincent sa clope, elle semble agacée et dégaine son portable, tendis qu'autours d'elle ses pions s'agitent. Sèchement elle tape le numéro sur le clavier de son téléphone jetable, le bruit de la sonnerie l'agace et réactive sa colère. Ses lèvres délicates se pincent, elle lève les yeux au ciel, commençant à marcher, faisant les cent pas. « Oui, je rentre bientôt, j'irais le voir. » Ses yeux gris se tournent une nouvelle fois vers ce qu'il reste de sa victime, un ton un peu trop triomphant dans la voix. « Oh, je ne crois pas qu'il puisse continuer à poser problème, à présent. » Puis avec un soupir elle raccroche, retournant dans l'ombre.

II. No sir, by the way, what the hell are morals ?

Lorsqu'elle pénètre dans la boîte de nuit, elle se sent bien seule et tout autant dépourvue, parfaitement image de la brebis face à une meute de loups, vêtue suffisamment légèrement pour ne pas crever de chaud, un véritable uniforme de nymphe. Elle monde directement à l'étage, chaque claquement de ses talons sur une marche fait monter son appréhension, comme le bruit d'une balle qu'on charge dans le barillet.

Ces deux-là n'ont pas vraiment de parler pour saisir la situation, et comme beaucoup au sein du monde de la nuit elle avait déjà travaillé pour lui. « On est plus dans les bonnes grâces du patron, miss ? Tu dois vraiment être dans la dèche pour venir ramper jusque ici. » L'homme semble largement profiter de la situation et c'est le cas, dans un milieu de requin on adore trouver des gens près à bosser gratis pour un peu de protection. Il écarte un bras, l'invitant à le rejoindre et en guise de réponse, elle prend tout son temps jusqu'à finir par s'installer sur les genoux de l'homme qui est un véritable roc par rapport à elle. « Je n'ai pas connu des jours très fastes ces derniers temps, oui. » Elle glisse une main dans ses cheveux d'un blanc impeccable, les repoussant vers l'arrière. Ses yeux argentés se glissent sur la vitre en face d'eux qui offraient une merveilleuse vue sur le club.

En fait, ils ne pouvaient pas dire qu'ils s'appréciaient particulièrement, elle parce qu'elle n'aime personne et lui parce qu'il sait qu'elle est un aimant à emmerdes. « Y paraîtrait que récemment tu as refroidi un mec et que tout le monde est à ton cul pour ça. » Mais elle semble n'avoir aucune envie de parler de cela et de toute manière sa culpabilité ne fait aucun doute, alors elle chasse les interrogations du mâle d'un geste agacé de la main. « J'ai besoin d'une planque et de fric. » Elle savait que ce ne serait pas gratuit et elle compte déjà donner de sa personne dès ce soir.

Sa situation est suffisamment catastrophique pour qu'elle accepte n'importe quoi et il le sait, alors se joue un jeu glauque de qui céderait le plus de dignité contre plus de terrain. Elle qui s'était donné du mal pour se faire discrète ces derniers temps, ce macchabée allait lui apporter plus de problèmes que la satisfaction de l'avoir buté elle-même, mais ça faisait vingt ans que ce jeu du chat et de la souris durait.

L'homme finit par se pencher sur son oreille pour lui murmurer exactement ce qu'elle rêvait d'entendre. « Descends dans la fosse et montre à ces âmes égarées à quoi ressemble une vraie femme. » Lâcher prise et devenir une autre : désinhibée et lascive, presque animale, mais aussi vampire, avec sa part d’ombre un peu crade et c'est précisément ce dont elle a besoin aujourd'hui.