T’es franchement pas d’humeur.
Tu viens de faire une très longue nuit à l’hôpital et les patients ont bouffé ton énergie. Les dramas des collègues aussi, surtout quand on s’est mis à demander ton avis sur la question. Et que tu as du te mettre à réfléchir activement à ce que tu pouvais, ne devais pas dire ; à quel point ça serait mal interprété, déformé, amplifié et comment la Ruche allait encore juger ta maladresse …
Même te taire et sourire, ça aurait été pris de travers !
Alors, avec toute la courtoisie, la politesse et l’image de marque qu’un vampire plus-que-centenaire se doit de montrer : tu les as envoyés chier, avec panache. Heureusement pour toi, la raison initiale du drama était un non-sujet, alors ta réaction – proportionnelle à ta fatigue – fut considérée comme justifiée. Ou t’as surpris et fait flipper la moitié des soignants présents. Titiller leur instinct de survie, ça marche aussi.
Le reste de ta nuit fut relativement calme et tu décidas de rentrer à pied. Pour mieux te préparer à ce qui t’attendait encore. Si d’habitude tu ne traînes pas trop dans les salons … Ton manque de patience, ta fatigue et tes nerfs à vif sont les symptômes évidents d’une soif naissante, que tu n’as pas étanchée dans les temps. Et dieu que tu t’es fait peur, à t’imaginer dévorer un de tes collègues, tandis que tu lui balançais quelques vérités en pleine face.
Comme à chaque fois, il suffit que tu croises le regard énamouré d’un Drone attendant clairement son heure, pour que ça te mette extrêmement mal à l’aise et t’en coupe l’appétit. Tant que tu peux encore tenir, tu te poses dans un fauteuil et fais un déni ; espérant trouver un autre mortel qui ne te dégoûte pas – de toi-même, surtout – et que tu puisses croquer sans états d’âme.
Bien sûr – BIEN SÛR – que ton Supplice n’atteint son apogée que lorsque tu entends ta Diva d’ancien troufion te provoquer ouvertement. Si tu sais que c’est un petit jeu de cons entre vous, tu n’as ce soir franchement pas l’énergie de lui donner la réplique sur le même air. C’est avec une absence totale de filtres que tu grognes un avertissement en réponse :
- Dois-je te rappeler d’où tu viens, Gaijin ?Tu regrettes immédiatement d’avoir articulé ces mots au moment où ils passent tes lèvres … Mais vu les regards alentours ça semble faire son petit effet ; et maintenir ce simulacre de défiance à l’égard de l’ancien Déviant et immigré. Si les paroles fusent, tout ton corps se fige et un frisson te traverse ; quand sa main glisse sur ton bras. Il triche, là. Tu restes con quand il réduit encore la distance et que tu sens son souffle dans ton oreille. Ton regard se fait grand et tu expires, aussi discrètement que possible, un honnête et soulagé :
- Fuck, yes.Reste à voir comment vous allez passer de rivaux à bons amis qui s’éclipsent en ayant la paix … Ce que tu résous rapidement en lui adressant une tape amicale sur l’épaule, de ta main libre ; puis en lui proposant de façon audible :
- Raconte-moi tout ! Tu disais vouloir ouvrir un site de paris sportifs basés sur la course d’escargots drogués au LSD ? As-tu un plan de financement, une étude de marchés ?Ou comment inviter les oreilles indiscrètes à bien s’étouffer de surprise et vous fiche la paix ! Une fois que vous avez quitté la pièce et n’êtes plus à la vue de tous, tu soupires longuement et lui demandes, ne cachant guère ton état de fatigue :
- Dis-moi que t’as un truc dans lequel je peux mordre … J’ai les crocs qui me démangent tellement …Non, ce ne sont pas des propos entendables par tout le monde. Heureusement pour toi, Meryl n’est pas
tout le monde.
L’univers serait dans une sacré merde, sinon !