T’aurais du le voir venir.
T’étais jeune, naïf, curieux. Mortel. Un étudiant en médecine qui s’approchait, pour la première fois, d’une de ces créatures nouvellement découvertes. Révélées. Ou qui avaient cessé de se cacher ? Tu n’étais qu’un humain parmi tant d’autres, voulant satisfaire ce besoin morbide de nouveauté, de réponses. Son regard avait croisé le tien et tu t’étais figé. Tu t’étais perdu dans ses yeux, les traits de son visage, ses lèvres fines qui avaient dessiné un discret sourire ; lourd de sens.
Ton cœur eu raté un battement et son sourire se fit un peu plus grand.
Si le Royaume fut rapide à tolérer puis accepter ces créatures surnaturelles ; ce n’était toujours pas le cas de ce qui était considéré comme différent – ou honteux – et qu’il était plus facile, plus simple et plus sûr, de garder caché.
Il était une curiosité scientifique, devenu un très bon ami.
Voilà.
Personne n’a su ce qu’il se passait une fois la porte fermée. Cela vous appartenait. Seuls vos sourires auraient pu vous trahir, ou ces moments volés ; quand vous osiez vous effleurer les doigts de la main, alors que personne ne regardait.
†
A peine diplômé et déjà au service de la Ruche, tu appris à leurs côtés. Et tu t’es attaché. Au point de demander l’éternité. Ce fut sûrement ta plus grande erreur, Harper. Tu étais si sûr que c’était ton choix … Mais quand tu devins l’un d’eux, tout changea. Ton regard sur le monde, sur ton amant, sur toi-même. La dépression fut brutale et intense. Si ce n’était pour ta Reine, tu te serais sûrement abandonné aux rayons du Soleil à l’Aube, admirant ses plus beaux reflets sur la Tamise.
Tu as préféré te noyer dans le travail, pour ne pas avoir à faire face. A ce que tu étais devenu, la réalité que tu eus été trop naïf, stupide et amoureux pour voir ; au-delà de ce charme surnaturel. Puis, quand les conflits ont dépassé les frontières, tu as fui pour le Front. Peut-être avec l’espoir que l’ennemi te fasse la peau. Ou que tu n’aies pas à retenir ces instincts qui te démangeaient parfois jusque dans les crocs.
Tu ne racontas jamais ce que tu eus vécu. Mais tu en revins transformé. Seule ta Reine su ; comment aurait-il pu en être autrement ? Si aucun mot ne fut échangé, son regard en dit tant. Et sa compassion à ton égard ne fut égalé que par la honte que tu ressentis, à ne pouvoir le soutenir plus d’une seconde. Comment pouvais-tu être encore digne d’elle ?
†
Tu as failli à ta mission, Harper. Quand ta Reine eu besoin de toi, de tes compétences, de ton savoir … Tu as échoué. Et elle en a payé le prix. La maladie l’a emportée si vite et, peu importe à quel point la science pouvait progresser, rien n’avait pu expliquer ce mal qui l’a ravagée. Si tu as gardé ton allégeance à la Ruche … Une partie de toi est morte en même temps que Fedosova.
Ne pouvant faire face à Adèle ni à Edward, tu t’es de nouveau noyé dans le travail. A mener une investigation impossible : trouver des réponses. Les années ont passé et le garçon est devenu le Baron, la nouvelle Reine. Que tu as toujours fui du regard, te rappelant à chaque fois de ton échec. Si tu as fini par accepter de boire son sang et construire un nouveau lien ; tu n'as jamais pu - ou su - faire réellement ton deuil de cette perte. Aujourd’hui encore, tu es incapable d’oublier ; ou accepter que tout ça fait partie du passé. Alors tu t’accroches à ce manque, ce vide ; dépassé par tout ce qui pourrait t’arriver.
Si tu acceptais enfin d’avancer.