8 ans à frémir, dès qu'une l'ombre d'une silhouette se projette en périphérie de ton regard. 8 ans à bouillir, de devoir faire les choses bien, ou plutôt à leur manière. 8 ans à remettre en cause, ta décision de rejoindre cette ruche, la liberté n’a jamais été un prix que tu étais prêt à payer. 8 ans à ronger ton frein, dans l’attente qu’enfin, cette Reine puisse prendre ses fonctions, te délivrer de cette mascarade dont tu n’es que le bouffon. 8 ans à serrer les dents, les sourires de façades, les discussions creuses, ta participation active dans la vie de la communauté, mensonges. 8 ans maudire, la gentry londonienne et leur système de caste, tu en arrives à un point où tu te réjouis d’être assimilé à la plèbe sur ces terres, tout vaut mieux que d’être associé à ces porcs.

Puis, tu découvres son visage et ton cœur vacille. Ne peut-on trouver en toi que de la rancune ? Est-ce bien là, toute la vérité ? Toi qui menace de t’effondrer sous le poids des faux-semblants, n’es-tu pas le pire de tous ? Le moment fatidique est arrivé, la Reine est là, devant toi, jeune, resplendissant, il te demande en monarque de t’avancer vers lui. Bien sûr, tu lis la préoccupation sur son visage, malgré le masque qu’il porte sur le visage. Tu es bien trop coutumier de la chose pour te laisser berner par un bleu. Cette maladresse, ce manque de maîtrise, tu aurais pu la trouver rebutante, mais c’est tout le contraire. Tu y vois – ou plutôt – tu as envie d’y voir un signe de candeur, d’absence de vice. Peut-être que pour une Reine pareille, ployer le genou ne serait pas une si grande infamie.

Saurais-tu comprendre, enfin, que la violence de tes sentiments ne naît pas uniquement de l’accumulation d’efforts au-delà de tes limites ? Qu’il se peut que ton irascibilité provienne tout simplement d’ô combien tu souhaites retrouver ce lien, si particulier, auprès d’une couronne à servir ? Par nature, le vampire est une créature servile, beaucoup préfèrent le nier – toi le premier – mais il en va de vos plus primaires instincts. Comme les loups périclitent et s’abîme en dépression, éloignés de leur meute, un croc ne saurait pleinement s’épanouir dans la solitude, il lui manquerait toujours ce je-ne-sais-quoi qui différencie la vie, la vraie, d’une longue et douloureuse pénitence.

Les yeux brillants, tu prends un instant pour le dévisager, les lèvres entrouvertes. Après quelques secondes, un sourire fin se dessine sur ton visage. Ton avis est fait, bien heureusement, ce serait une Reine pour laquelle tu n’aurais pas de remords à mourir. Tu as appris, au fil des ans, à juger de mieux en mieux tes interlocuteurs au premier coup d’œil, bien sûr, si la méthode n’est pas infaillible, tu as tendance à croire en tes premières impressions. Ici, cela servira au jeune homme, face à toi, qui n’aura pas à gérer l’esclandre que tu avais prévu, le grand déchirement prophétisé par ton aversion pour ton genre.

S’il te fallait du repos, tu t’en accorderais, éloigné de la ruche, juste assez pour échapper à l’air chargé d’attendus. Tu exécuterais sans broncher le moindre ordre direct de ta Reine, comme chacun doit le faire et saisirait toute opportunité de décliné poliment les sollicitations de tes pairs par ton entraînement au BUR. Tu t’es débrouillé pour doubler le plus d’années possibles, pour demander les formations les plus longues et complètes imaginables, mais dans deux ans, tu te retrouveras bel et bien agent et il te faudra finalement apprendre à travailler pour gagner pitance. En plus de cent ans, ça ne t’est jamais arrivé, en étant de la sorte intégré à la société.

« Yes, my Lord. » Le ton de ta voix est chargé d’émotion, la lourdeur de tes sentiments se ressent dans ces trois petits mots. Tu aurais pu l’appeler ton roi, cela n’aurait fait aucune différence. Tu t’approches, dans tes habits d’apparats – certes bien moins prestigieux que ceux de ta Reine – et pose le genou à terre à un pas de lui. Le bras barrant ta poitrine, tu poses la paume de ta main sur le cœur en signe de révérence sincère. Ta propre docilité te donne la nausée, des émotions conflictuelles t’assaillent. Un nouveau lien va être tissé, bien que tu comprennes que tu en meures d’envie, cela ne t’empêche en rien de le craindre.

Fouler du pied, l’amour si spécial que tu réservais à ta muse, ta précédente Reine, est-ce bien quelque chose que tu peux te permettre de faire ? Il te faudra apprendre à faire le deuil des choses et des gens, même un vampire à le droit au bonheur et pareillement enchaîné au passé, tu ne pourras jamais aller de l’avant, embrassé ta félicité future. Le cœur gros, tu tends une main chancelante au Baron, ne sachant plus comment cela doit se dérouler. Tu n’oses même pas le regarder dans les yeux, de peur de t’y faire happer.