Le ventre beaucoup plus en paix suite à cet acte terroriste que tu auras perpétré à cette table, tu te dis que c’est quand même sacrément curieux de retrouver un membre aussi éminent de ta ruche, dans un lieu aussi banal. Ça n’est pas le genre d’établissement dans lequel tu t’imaginais le voir évoluer. Peut-être a-t-il besoin d’un peu de piment dans son quotidien, de ressentir le frisson de se glisser dans la peau d’un gueux lambda ? Un délire de bourge. La dernière fois que tu l’avais réellement vu, c’est bien tout ce que tu avais jugé de lui et de sa petite troupe.
Il faut dire que ça n’était peut-être pas sous les meilleurs auspices. C’était à l’occasion de ton entretien auprès du Bras-Droit de la dernière Reine de Redcastle, accompagné.e des princesses. Même en ta mémoire balafrée, il existe toute de même de meilleurs souvenirs que celui-là. Après tout, c’est le jour qui t’auras condamné à un rôle que tu ne voulais pas assumer, encore moins pendant huit ans, encore moins pour ces gens. Rien de bien étonnant à ce que tu aies une image aussi superficielle de Micah, autant pour la nature du caractère que tu lui imagines, que pour les informations que tu as sur lui.
En quelque sorte, ne pas avoir cherché à le connaître, lui comme tous ceux que tu décrètes de son espèce, rend le fait de le haïr infiniment plus facile. À vrai dire, lorsque tu as débarqué à sa table, tu avais présupposé lire sur son visage une révulsion nette à ton encontre, pas du tout. Il était, tout au plus, perplexe de reconnaître une bouille méconnue, te semble-t-il. Toujours aucune réaction quant à ton spectaculaire pet. Il s’apprêtait pourtant bien à dire quelque chose. Alors que tu commençais à trouver le temps long – pas plus de quelques secondes – voilà t’il pas qu’il te rote au nez.
Agréablement surpris, ou plutôt complètement sidéré, tu te contentes de ramener tes sourcils plus haut sur ton front, les yeux grands ouverts. Tu es sidéré. Il vient en une réaction involontaire de son corps réfuter tout ce que tu pouvais bien projeter sur lui. Les pattes sciées, tu prends appui d’une main sur la table entre vous, pour ne pas rejoindre prématurément le sol. Le méchant fou rire que tu retenais aussi bien que possible ne tarde pas à résonner sur la terrasse londonienne. C’est sans doute la réminiscence de sa bouche, tout juste assez entrouverte pour laisser s’échapper son petit rot qui te foudroie.
Tu l’imagines en poupon, venant de terminer son biberon. Le meilleur des ressorts humoristique, à ton avis, c’est le décale entre les attentes générées par l’artiste et le résultat final. Rien ne t’avait préparé au grand écart d’attitude auquel tu venais d’avoir droit. Aussi, tu croules sous le poids de tes propres ricanements et en arrives même à t’effondrer par-dessus le dossier de ta chaise, rire à en taper du poing sur la table. Ne parvenant pas à t’arrêter, tu continues de te voir secoué de quelques vagues d’hilarité alors que tu l’entends rouspéter sur la propreté de ta conduite. Il en faudra plus pour chasser complètement tes cachinnations, une larme vient d’ailleurs rouler contre ton nez.
Malgré tout, tu trouves la force de te redresser et prends le temps de t’essuyer le coin des yeux, toujours groggy par cette séance d’abdo surprise. Voilà tout ce qu’une princesse comme lui trouvais à y redire ? Décidément, ce Micah est de plus en plus intrigant à tes yeux. Tes a priori s’envolent les uns après les autres. Tu ne sais même plus trouver de raison de lui refuser tout crédit après une sortie pareille. Tu aurais cru à une envolée dramatique de sa part, le voir s’envelopper de son blanc linceul de bien-pensant et soupirer, exaspéré par ton manque de tenue, rien à voir.
Il n’est peut-être bien plus loin de l’image que tu te faisais de lui, en réalité. Tu en prends réellement conscience en reprenant peu à peu consistance. L’idée de retrouver un peu en lui de cet idéal d’embrasser l’absurde te ravit. À nouveau, ça n’est qu’une projection que tu poses sur lui, pourtant cette fois, tu en as bel et bien conscience. C’est peut-être, là, la différence la plus primordiale. Avec plus d’aisance que toi, ton interlocuteur retrouve son sérieux. Il récupère l’aplomb qui est exigé de son rang et semble chercher à se remémorer qui tu pourrais bien être.
Bon prince, tu ne t’abaisserais pas à jouer les effarouchées. Après tout, si tu es capable d’échapper au radar de tes congénères, c’est que tu auras bel et bien vécu selon tes principes. Se donnant le temps d’y réfléchir mieux, il te taxe d’une gratification à la Française, pas pour te déplaire. Son trait à pour effet de rehausser à nouveau les commissures de tes lèvres. « Tu m’rajeunis, c’est trop gentil. » Relevant ton regard en l’air, tu cherches à déterminer ton âge. Sans succès, tu ajoutes. « J’dois en avoir un peu plus de cent quatre-vingt, en vrai ! » Rapidement, tu reportes ton attention sur l’autre vampire à tes côtés, ton regard d’ébène s’ancrant dans ses iris.
Une pétillante du regard accompagne son rire, tu découvres dans ses prunelles un éclat, une irrévérence pour laquelle tu as une infinie tendresse. Tu dois bien de l’avouer, si ton cœur t’appartenait toujours, il a de ces regards à vous le faire donner sans détour. De mieux en mieux, il te donne l’impression de ne pas être de ceux qui cherchent scrupuleusement à suivre les codes. À ton humble avis, il te ressemble un peu. Il te renvoie une personnalité qui s’affranchit d’un maximum de diktats poussiéreux. Ça a quelque chose de profondément rafraîchissant, chez un vampire, mais encore plus de la part d’une princesse.
Pourrais-tu te surprendre à songer à une nouvelle ère, une, dirigée par de tels leaders ? La pensée t’amuse alors que Micah revient au sujet de départ de votre interaction. « J’avoue que je suis pas sûr de savoir de quoi il est question… » Une moue légèrement embarrassée ne tarde pas à s’éclipser. « Mais ça à l’air giga chiant, j’aurais déjà mis les voiles. » Tu laisses tes lèvres se rejoindre d’un côté de ta bouille pour former un petit sourire, très narquois. « Mais c’était déjà le plan, nan ? » Dis-tu, un peu comme un chien ravi d’avoir déterré un os.
Finalement, ton nom refait surface. Tu n’hésites pas une seule seconde à lui répondre, sarcastiquement. « Précisément, Votre Éminence, Princesse Reed. » Toujours assis à revers sur ta chaise, tu singes de la main un signe outrancier et l’accompagnes d’une pseudo-révérence railleuse. « Je t’aurais bien proposé de te déposer si tu avais voulu, mais…» Ton sourire s’évanouit en mine désœuvrée. « J’ai pas d’voiture.. Pas plus que de permis, d’ailleurs. » Frénétiquement, tu te grattes l’arrière du crâne, un peu embêté pour ta délicieuse compagnie. Pourtant, pour une raison que tu ne t’expliques pas, tu lances en suivant. « Je peux toujours te raccompagner, si tu préfères toujours rentrer. »
Surpris quant à ta propre prévenance pour cet homme, ce parfait inconnu en un sens, tu réalises consciemment qu’il aura quand même sifflé tout son cocktail. C’est peut-être le genre d’indice qui t’aura poussé à formuler cette proposition un peu incongrue. C’est une véritable vague d’incertitude qui s’échoue contre toi. Si tu sais que serais, à sa place, en parfait de rentrer chez toi après un verre, ça n’est pas nécessairement vrai de tous les vampires. Il faut dire que tu ignores en combien de temps il l’aura bu, son poison. Il est tout à fait possible que ce soit le résultat de plusieurs longues dizaines de minutes à siroter, las, sa boisson.
Le souvenir d’un cul-sec – en pourtant excellente compagnie – te fait tressaillir. Ce soir-là, tu as bien eu besoin d’aide pour trouver abri. Sans en arriver à un extrême pareil, tu serais bien incapable d’évaluer le niveau d’alcoolémie de ton pair, à vue de nez. Après tout, il ne s’agit pas du premier grouillot venu, mais bien d’une princesse de ta ruche. Si tu n’es pas du genre très sociable avec les tiens, tu n’es pas démissionnaire au point de laisser sur le carreau un membre de ta communauté. Que tu finisses, la tête dans le caniveau à gerber ses tripes, est une chose. Pour lui, il en va pour sûr autrement. Rien que d’imaginer les différentes pressions auxquelles sa vie doit être soumise, l’envie de te passer la corde au cou t’assaille.