Il y a des soirs où il serait préférable de rester chez soi, sous un plaid, une manette à la main et une tasse de sang chaud dans l’autre. Mais non, il fallait se lever pour aller travailler sous la pluie. Viktor aimait bien son travail, mais des fois, il avait franchement la flemme d’y aller. Ces moments où l’envie de changer de job serait bien, puis se rappeler qu’il n'était pas si mal à sa place. Le cercle vicieux entre l’idée qu’on est bien , mais pas tant que ça à cause de la lassitude.
Son travail n’était pas très compliqué : trier les gens qui entraient dans le cabaret de sa reine. Une forte responsabilité en somme, car s’il y avait le moindre souci, cela pouvait lui retomber dessus ; mais aussi une forme d’honneur dans la confiance qu’on lui donnait.
Regarder les tenues, il fallait être correct, mais pas dans l’excès, trop en faire en pensant pouvoir entrer était une mauvaise idée. Regarder les comportements. Le nombre de personnes dans un groupe. Repérer les visages à problèmes qui tentaient de revenir en pensant que le physionomiste les oublierait - raté. Devoir gérer les impatients, les colériques, les imbibés d’alcool ou les drogués sans leur faire de mal et en restant calme. Revenir vers ceux qui ont été refusés et mis de côté et attendent sagement pas loin au cas où sans faire d’histoires, car le videur a changé d’avis face à leur comportement. Bref, il n'y avait pas de répit.
D’ailleurs, ce soir-là, un humain avait décidé de le faire chier. Ça se voyait qu’il ne s’était pas contenté d’une petite pinte et que son ego avait été attaqué quand le videur l’avait recalé, car il ne marchait pas très droit. Dans ces moments-là, il valait mieux la fermer et repartir, car il n’avait rien fait pour que la prochaine fois, plus sobre, il ne soit pas accepté. Mais non, il forçait, il revenait, et le vampire le mit plusieurs fois de côté avec toute la patience et la diplomatie dont il pouvait faire preuve. C’était rare que les humains l’emmerdent, il dégageait une crainte naturelle pour eux, mais l’alcool rendait inconscient, ou idiot, la limite était mince.
Et ce fut au même moment que Viktor aperçu quelqu’un remonter la file. Inspiration, le russe n’a jamais vu une seule goutte d’alcool de sa vie, pourtant là, il en aurait bien besoin. Expiration. Le gars s’arrête devant lui et se présente comme étant agent du BUR, c’était le moment tient, en plein rush de début de soirée. On reste calme, et on sourit - mais pas trop pour ne pas montrer les crocs.
Mais alors que l’agent lui demandait audience, le malin relou qui forçait juste avant, tenta de rentrer dans le cabaret derrière son dos.
─ Bonsoir, une minute je vous pris, répondit-il poliment, un sourire légèrement crispé par l’agacement.
D’un geste, le géant tendit le bras pour attraper le col du malheureux, le soulevant à trente centimètres du sol. Il se déplaça de quelques mètres de ma file avant de le jeter plus loin, retenant sa force surhumaine pour ne pas le blesser.
─ Je te reprends à venir ici, je t’arrache la jugulaire !! S’exclama-t-il d’une voix rauque qui en fit reculer plusieurs. Et n’espères pas que j’oublie ta face !
Le physionomiste qu’il était n’oubliait jamais un visage, se le mettre à dos, c’était se condamner les portes du cabaret pour l’éternité. Dommage, ce gars serait maintenant dans sa liste noire.
Le vampire se redressa, réajustant sa cravate et ses manches, avant de revenir vers la porte du cabaret. Il s'arrêta juste avant, se tournant vers deux jeunes filles, bien apprêtées, mais pas très à l’aise, qu’il sonda de son regard sombre.
─ Vous deux, vous pouvez entrer. Passez une bonne soirée, leur dit-il d’une voix beaucoup plus douce, mais toujours sèche.
Puis il passa derrière elle, quelques minutes avant de ressortir avec un autre videur qui prit sa place.
─ Tu en laisses entrer une dizaine maximum, je n'en ai pas pour longtemps.
Son collègue acquiesça avec nervosité, c’était assez rare que le physionomiste laisse sa place.
Le vampire revint vers l’agent du BUR et d’une voix calme et polie, repris sa réponse :
─ Mes excuses pour le contre-temps, que puis-je pour vous ?