A place to put your pain, your consequence
Scotland Yard, BUR ◈ Printemps 2024 ◈ Ft. Blair Gallagher
◈ ◈ ◈
Par chance, Gallagher ne rétorque rien. Au contraire, il offre une porte de sortie tant attendue pour Jason. La fin de cet interrogatoire de malheur, la possibilité d’enfin quitter les locaux du BUR pour retrouver la fraîcheur de l’extérieur. Dès qu’il en aura l’occasion, il filera sans demander son reste, cherchera un endroit où se poser pour le restant de la nuit. Un autre squat, peut-être, ou alors un fast-food aux horaires nocturnes ? Manger autre chose qu’une madeleine ne lui fera pas mal de mal, et il a de l’argent sur lui. Un burger lui rappellera les virées en centre-ville avec ses camarades de section pendant ses classes, lors de leurs rares permissions.
Et peut-être qu’après, il retournera à l’appartement. Affronter Gil sur son absence de ces derniers jours ne lui fait aucunement envie, mais il ne compte pas non plus disparaître dans la nature. Il ne tient pas non plus à finir ses jours dans un squat miteux, vaincu par ses démons sans autre espoir. Si jamais Riley décide de lui rendre visite à Londres, il n’arrivera pas à le regarder en face - et il n’a aucune envie d’affronter son regard aussi soucieux que déçu.
Jason relit la déclaration, puis la signe sans rien ajouter. Il n’a qu’une envie, quitter les lieux au plus vite. Il a su conserver son calme depuis qu’un agent l’a jeté là, mais il a horreur de rester enfermé entre quatre pièces sans avoir le moindre contrôle. Sans l’autorisation du BUR, même s’il n’est qu’un témoin, il n’a pas le droit de partir, et ce simple fait l’horripile. Une chance qu’il nourrisse nombre de griefs contre Gallagher, que son bras lui fasse un mal de chien également ; c’est tout autant de distractions pour l’empêcher d’accorder de l’attention à ses peurs profondes.
Toutefois, même avec la fin de l’audition, Gallagher ne paraît pas en avoir fini avec lui. Jason arque un sourcil circonspect face à la feuille glissée en sa direction, et une réplique cynique s’apprête à fuser aussi sec. Seul le geste de Gallagher la retient, et Jason accepte de le laisser parler. Pour autant, tout une partie de lui se place sur la défensive, tandis que la fin de sa clope lui permet de conserver son sang-froid comme son masque impassible.
Et Gallagher lui ôte les mots de la bouche, ou presque. Il devine le reproche que Jason comptait lâcher, et enquille sur la suite sans temps mort. Sans le ménager également.
Jason écrase sa clope d’un geste sec contre le plastique d’emballage. Une assurance-vie. De l’argent dormant à son nom, quelque part, soi-disant sans la moindre condition. Une décision qui se veut bienveillante, comme un père qui veille sur ses enfants, sur n’importe quel de ses enfants. Autant dire que Jason a l’impression que Gallagher essaie de lui recracher un conte pour enfants au vocabulaire trop adulte qui rate sa cible de vente.
Pendant un moment, il ne pipe mot, les yeux rivés sur le bord de la table. La situation lui rappelle ses classes, où les autres recrues repartaient voir leur famille lors de leurs permissions. Jason n’a jamais compris leur choix. Rien ne l’attendait chez les Hawke ; sa mère lui avait bien fait savoir qu’elle ne voulait plus le voir, et son père… son père ? Il n’a jamais rien dit pour s’opposer à cette femme. Alors retourner dans le Wyoming, dans son village natal ? Quelle idée de merde.
Et la seule fois où il a suivi cette idée de merde, des années après, il en garde un souvenir cuisant.
Même avec Riley, il ne comprenait pas. Riley n’a jamais su lui expliquer non plus.
Puis il y a eu Nick. Ils sont rapidement devenus amis, dans leur promotion. Ont été assignés à la même section par la suite, déployés ensemble en Afghanistan. Un ami comme Jason n’en a jamais eu, quelqu’un sur qui il pouvait toujours compter, en toutes circonstances. Et à chaque permission, Nick retournait chez lui ; pas chez ses parents, mais chez son grand-père. Ou tout du moins, un homme âgé qu’il appelait grand-père sans avoir le moindre lien de sang avec lui.
Comme quoi, le plus important n’était pas la filiation, mais les efforts faits. Chose que Jason n’a jamais connu.
Jason lâche un long soupir, ferme les yeux un instant. Sa main droite passe dans ses cheveux. Il regrette d’avoir terminé sa clope ; la prochaine attendra d’être dehors.
Finalement, il se redresse, abandonne la chaise. Ses yeux dévient sur la feuille déchirée, sur les coordonnées et l’adresse annotées. Ça ne l’engage à rien. Même cet argent, il n’est pas obligé d’en voir la couleur. Ou s’il le récupère, il peut tout aussi bien le donner à l’association.
Il attrape la feuille, la plie d’une main et la fourre dans sa poche. Toujours le silence. L’incertitude. L’hésitation qui le prend aux tripes. Tout était plus simple en Afghanistan. Observer la situation, choisir le terrain d’affrontement, avancer. Contrôler la situation pour ne pas se laisser surprendre.
Pourquoi ne pas appliquer la même stratégie ?
Encore un soupir. Sa main droite masse sa nuque.
— Si tu m’paies à manger, j’te laisse causer. M’expliquer.
Lui expliquer qui il est vraiment. Son lien avec Claire. Pourquoi il n’a jamais été là. Ce qu’il veut désormais, même s’il affirme ne rien vouloir.
Pourquoi il persévère, tout simplement.
Comprendre au lieu de tirer dans le tas.
Comprendre pour que Gallagher ne finisse pas comme Amani Nazari, une victime collatérale.
— Mais à la première excuse, j’me casse. C’est pas ce que j’demande.