Stayed Gone
❈ Ft Jason Hawke
❈ Bloomsbury
❈ Printemps 2023
Elle sait.
Un SMS laconique de la part de Malavina, qui pourtant fait se figer Gil au-dessus de sa tasse de café. Un regard au calendrier fixé au frigo et il grimace ; leur mère n’aura mis qu’une journée pour apprendre le dernier désastre en date qu’il a provoqué. En même temps, si elle arrêtait de vouloir lui trouver une femme “digne des Campbell” selon ses critères, il ne serait jamais allé jusque-là.
Enfin, ce n’est pas comme s’il détestait mettre le kilt aux couleurs de sa famille, ou qu’il était sensible aux regards que les autres portent sur lui. Lui s’est bien amusé, mais il est probable que son date forcé n’ait pas apprécié l’idée et en ait fait part à sa très chère mère.
Parfois, Gil souhaite de lui dire que Papa ne l’aurait jamais épousée, s’il avait suivi ses stupides critères, mais il n’a pas spécialement envie d’être le dernier clou du cercueil du mariage de ses parents. Il ne sait même pas à quoi tient encore le mariage du côté de son père ; s’il s’écoutait, sa mère ne reste aux côtés de son père que pour son argent, alors même qu’il sait bien que c’est plus compliqué que cela.
Une vibration entre ses doigts et Gil retourne son attention à son téléphone, pour voir un autre message de sa sœur.
J’espère que t’as pas encore oublié de fermer ta porte, elle était furax
Toute couleur disparaît de son visage. Sa mère ne lui a plus fait le coup de débarquer chez lui sans prévenir depuis ses études, mais il ne doute pas une seule seconde qu’elle en soit encore capable. Son cerveau tourne à toute vitesse ; est-ce qu’il a fermé la porte derrière lui en rentrant ? Ou Jason ? Non, Jason était là avant lui, donc s’il a effectivement oublié, rien n’arrêtera sa mère. Et merde. Pourquoi sa tête doit-elle le trahir lorsqu’il aurait besoin qu’elle fonctionne correctement ? Est-ce qu’il a le temps de se préparer au pire, ou Ina l’a-t-elle prévenu trop tard ?
La porte d’entrée claque contre le mur, puis reclaquée contre le battant. Trop tard, en effet. Le dragon est là.
— Gilchrist Campbell ! Comment oses-tu me faire ainsi honte ?
Même le chihuahua du voisin ne fait pas autant de bruit ; Gil soupire et songe qu’il devra aller s’excuser auprès des autres habitants du quartier, vu comment porte la voix de sa mère. Et après, c’est lui qui fait honte à leur famille ? Sa mère manque définitivement plus d’éducation que lui, mais il ne compte pas en faire la remarque. Mieux vaut essayer de la calmer plutôt que d’envenimer la situation. Plus vite elle sera repartie, plus vite Gil pourra s’occuper de la migraine qui pointe.
Enfin, Jason est le premier à qui il devra ses excuses. Son collocataire n’est sans doute pas prêt à faire face au bulldozer qu’est sa mère ; Gil range son téléphone dans sa poche et se dépêche de rejoindre le salon, bientôt une zone de guerre. À coup sûr, entre deux critiques sur l’ameublement de son appart, son comportement irresponsable et son manque d’ambition, sa mère risque de s’attaquer à son coloc, dont elle découvrira tout juste l’existence.
Gil regrette presque d’avoir joué au con à son dernier rendez-vous lorsqu’il passe la porte du salon pour affronter son dragon de mère, hors d’elle, comme l’a prévenu Ina. Il déglutit, se préparant au pire, alors que sa mère remarque immédiatement son arrivée.
— Gilchrist, qui est cet homme et par tous les Saints, pose-moi ce poison ! Tu es médecin, tu devrais savoir ce qui est bon pour toi ! Ce n’est pas possible d’être aussi stupide !
Avant même que Gil ne puisse ouvrir la bouche, sa mère adresse un regard dédaigneux à Jason, avant de se diriger vers lui pour lui confisquer sa tasse, comme à un enfant capricieux. Ben voyons, fallait-il vraiment qu’elle étale son mépris devant son ami ? Pour une fois, Gil ne se sent pas particulièrement à l’aise face à sa mère, voire honteux. Clairement, si Dieu l’avait consulté, Gil aurait préféré que Jason rencontre d’abord sa soeur ou son père. Des crèmes, comparés à la mégère qui lui sert de génitrice, surtout alors qu’elle vient définitivement d’étiqueter Jason comme “parasite”, au vu de son regard.
Gil espère pour elle qu’elle aura l’intelligence de ne rien dire. Il peut supporter ses jérémiades à propos de ses bêtises intentionnelles ; si elle s’en prend à son ami, il ne sera pas aussi patient que d’habitude. Lentement, il reprend la tasse des mains de sa mère et la termine en la regardant droit dans les yeux.
— Bonjour, Mère, je vais bien, merci de t’en inquiéter. D’ailleurs, je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a un bouton blanc à côté de la porte, c’est une sonnette, c’est pour avertir les habitants avant de rentrer chez eux. Je crois même que la bienséance dicte même d’attendre d’être invitée avant d’entrer, est-ce que je me trompe ?
Gil :1, Mère : 0. Ce n’est pas comme si elle pouvait le déshériter, après tout. Cependant, elle peut être infect à son ami, aussi lui adresse-t-il un regard désolé. Gil ne lui en voudra pas s’il fuit le champ de bataille ; il n’a pas à supporter sa mère parce que Gil est infoutu de penser à fermer la porte à clé.