C’est Edward qui te demande de l’accompagner au Shard. Tu n’es pas incroyablement partant, mais il faut bien rentrer dans le rang. Ce n’est pas parce que la reine te l’aura proposé, au détour d’une conversation banale, que ça n’en était pas moins un ordre direct. C’est ainsi que tu te retrouves propulsé dans une soirée mondaine, organisé par ce que tu imagines être la noblesse humaine. Tu en ignores les enjeux réels, on ne t’a pas réellement tenu au courant. Ce que tu sais, c’est qu’il ne faut pas faire de vagues, parler bien, s’attirer les faveurs de ces gens, au possible.

Si tu ignores les tenants et les aboutissants, tu admets que la soirée revêt un caractère assez solennel. Déjà, la Reine de ta ruche y sera présente. Arrivé sur place dès le soleil couché, tu découvres là-bas une princesse de Lexington. Tu ne la connais que de réputation, on aura dû te la pointer du doigt, à l’occasion, mais jamais vous ne vous êtes adressés la parole. Dubitatif quant à l’étalage des richesses qui est déployé sur le penthouse, au dernier étage de l’hôtel, tu en aurais pourtant attendu davantage. De nouveaux riches, cherchant à s’attirer les faveurs des plus anciens nobles de Londres ? À moins qu’il s’agissent de redorer le blason d’une firme à scandales, auquel cas ce serait leur réseaux qui intéresseraient ?

Ton sixième sens de flic s’affole, les théories fusent, mais aucune ne tiens réellement la route. La chose restera un mystère pour toi et c’est peut-être aussi bien. Laissant à Edward, le soin de gérer les conversations d’importance, tu occupes les petites gens, avec le juste dosage de magnétisme. Tu apprécies toujours autant l’exercice, même si c’est fatigant à la longue. Une jeune femme insistera même pour que tu la mordes, sans doute un peu trop enivré, tu décideras de décliner l’offre, bien qu’elle fuse alléchante. Saisissant un regard du Baron, qui quitte la salle de réception au bras d’une femme richement vêtue, tu comprends que tu auras rempli ton objectif de mission, chasser les indésirables des pattes de ta Reine.

Choisissant, une fois n’est pas coutume, de t’offrir une coupe de champagne bien mérité, tu retires le rouge à lèvres récalcitrant de ta joue. Par habitude, sans doute, tu chausses tes lunettes de soleil avant de rejoindre la terrasse, tout au sommeil de l’hôtel de luxe. La musique finit sincèrement par te taper sur le système. La vue des victuailles te donne envie de rendre ton dernier repas, tu as trop forcé sur les mets humains dernièrement. Profitant du bain de lune que t’offres l’astre pâle, tu te permets enfin d’allumer ta première cigarette de la soirée. La première inspiration est libératrice. Des bruits de pas, dans ton dos, attirent ton attention. Qui chercherait à t’approcher à cette heure de la nuit ?

Le cliquetis de pas derrière toi, s’arrête. Tu te retournes, pour examiner le perturbateur. C’est pourtant bien une perturbatrice, que tu découvres. Un ravissant brin de jeune fille pour être précise. Sa chevelure blonde reflète curieusement l’éclat des lustres à l’intérieur. Tu reconnais le visage de la princesse, repéré plus tôt dans la soirée. Un fin sourire étire tes lèvres. C’est qu’elle aurait presque de l’allure. La bienséance te dicte de garder pour toi l’envie de siffloter sa venue. Si, comme toi, elle trouve comme dernier refuge cette terrasse, c’est peut-être bien qu’elle en aura déjà soupé. Pas la peine d’en ajouter une couche.

Elle te donne l’impression de te jauger du regard, tu reconnaîtrais presque un air de défi, mais tu connais ta propension à extrapoler le moindre détail, la moindre micro-expression. Aussi, tu ne fais que noter ta propre remarque, sans la prendre pour argent comptant. « Je ne souhaite pas vous déranger. » Qu’elle aura dit, avant d’en retourner au silence. Mais c’est que ça n’était pas le sentiment qu’elle t’évoquait. Il y avait dans sa voix, un je-ne-sais-quoi de familier qui te titille. Puis, tu n’as pas pour habitude de souffrir le regard d’autrui sans lui rendre la politesse. Fort heureusement, cette nuit, tu es présentable, du moins, à ton niveau.

Rasé, apprêté, ton costume est flambant neuf. Si l’on oublie que tu portes sur le nez une paire de vieille Ray-Ban cabossées et que l’on ne retrouve à ton col, à demi-relevé, ni cravate, ni nœud papillon, c’est pas trop mal. Du grand Meryl Streeb, dans toute sa splendeur. D’ailleurs, alors qu’elle reprend sa course jusqu’à la balustrade, c’est ce que tu comptes lui apprendre. Pas que ton nom lui évoquerait quelque chose, plutôt que tu aimerais vraiment l’entendre te répondre. Ses yeux contemplent la cité en contrebas, tu prends un instant pour apprécier son profil et te lances finalement.

« Meryl Streeb. Je crois vous reconnaître Mlle. Stark, n’est-ce pas ? » Tu l’auras presque gratifié du titre de lady, te laissant emporter par son port noble, mais de mémoire, il n’en est rien. Si elle est bien princesse de Lexington, elle n’appartient toutefois pas à la Gentry, bien que d’une autre classe sociale que la tienne, tu le lui accordes. Ayant accompagné ton nom, d’une main posé côté cœur, tu lui adresses tout de même une petite révérence, respectueuse, non pas vulgaire. Après tout, tu crois comprendre que ça n’est qu’une question de temps avant que son père ne réussisse à lui racheter un titre, autant prendre les bonnes habitudes dès le début.

« Vous ne me dérangez pas le moins du monde, même si je dois dire que je reste songeur quant aux raisons qui pousseraient l’une des étoiles de cette soirée à s’isoler de la fête, tombant par là même sur ma bien piteuse compagnie. » Tu t’amuses à passer un doigt le long du fil de ta coupe, l’observant, elle, ce même petit sourire aux lèvres. Il faut te souvenir, pas de vagues. Tu te décides donc à prendre une première gorgée de ce champagne hors de prix, puis une nouvelle bouffée de nicotine.

C’est qu’elle te rend ta révérence, l’insolente. Mais, à nouveau, tu as le loisir de réentendre sa voix. Cette étrange familiarité, ça te rendrait presque dingue. Tu joues peut-être à un jeu très dangereux, à solliciter la mauvaise personne, dans la mauvaise soirée. Une personne qui, très clairement, n’a jamais réellement souhaité t’adresser la parole, tu pourrais même aller un peu plus loin et entériner l’idée qu’elle ne voulait précisément plus à avoir à jouer de sociabilité, pour la nuit. Pourtant, tu es là, tu es sûr d’avoir la réponse sur le bout de la langue, mais ça n’est pas encore assez.

« Je doute que quiconque ait cette soirée puisse être de piteuse compagnie, sir. Qui sait, nous avons peut-être plus en commun que vous ne l'imaginez ? » Oh ? Bah, dis donc. C’est que ça ressemble beaucoup à ce personnage… Mais, si, ça te revient, la p’tite comète dans le film Peach Sis, celle qui est tellement optimiste face au danger, que s’en est presque drôle ! Plus concentré sur la forme que sur le fond, ton regard brille d’une étincelle retrouvée. Tu n’aurais jamais cru faire une telle rencontre, surtout pas pendant une réception aussi rasoir. Quelle veine !

Tu aimerais la corriger sur son erreur, le titre de sir ne te convient que très peu, mais tu n’en as pas le temps. Même si ça fait bien longtemps que tu as renoncé à tout titre, tu n’auras pas le choix que de la laisser t’appeler ainsi, puisqu’elle enchaîne. Elle trahit une légère anxiété ? Tu ne saurais le dire, ce mouvement machinal de la main, t’interroge, mais ne te donne pas matière à extrapolé. De toute façon, elle réclame du calme, il te faudrait peut-être lui concéder. D’apparence, jeune femme, Allison Stark est une femme occupée. Tu n’en sais pas assez pour déterminer son âge, mais tu l’images peut-être aussi vieille que toi.

Tu adorerais lui demander si c’était bien elle, l’assaillir de question sur son métier, ses impressions sur le staff du film, mais aussi découvrir d’autres rôles, peut-être de plus grande envergure que ce background character/comic relief d’un film grand public, certes, mais qui n’aura pas pu lui permettre de déployer toute l’étendue de son talent… Cependant, elle persiste dans l’expression de sa volonté de quiétude. Saurais-tu garder pour toi cette question ? Les yeux brillants d’excitation, l’une de tes jambes frappant en rythme les dalles de la terrasse. Si tu avais été loup, tu aurais pu tout aussi bien remué la queue, s'eus été du pareil au même.

Tu vois son regard se perdre jusque sur ta cigarette, ton verre, elle a l’air de s’amuser, pourtant ? Peut-être qu’en lui paraissant plus sympathique, tu pourrais lui tirer les vers du nez, après tout, ça ne coûte rien d’essayer. Reportant la tige incandescente à ta bouche, tu sors ton paquet de mort en tube et d’un tapotement expert en fait s’élever une plus haute que les autres. « Vous en voudriez une ? » Lui demandes-tu, sûr un ton plus chaleureux, t’enquérant de la savoir satisfaite. « Ou peut-être une coupe, j’aurais peur que vous n’ayez point pu prendre le temps de goûter à ce champagne. »

Alors que tu tournes la tête en direction de la pyramide disposée non loin, tu relâches un nuage de fumée vers le ciel. Ne semblant plus distinguer ton dialogue interne, de ce que tu dis à voix haute, tu conclus comme suit. « Faut que j’lui demande ça, parce que j’aimerais quand même bien savoir si c’est elle qui double la p’tite comète, dans Peach Sis, ou pas. » Tu clignes des yeux. Tu t’es entendu de tes propres oreilles, là, non ? Bien sûr que non. Tu n’aurais jamais commis d’impair aussi honteux, c’est tellement pas ton genre.

Ni liqueurs, ni fumées ne semblent bakchich digne d’elle. La compagnie de Mrs. Stark est un don du ciel qui ne se monnaie pas. Elle décline, dans tout son lustre, ton odieuse proposition à s’enivrer. Ajoutant qu’il est souhaitable qu’elle ne se verse dans aucun de ces vices. La douceur de sa diction tranche avec le fond de sa pensée. Si tu avais été plus avisé, tu n’aurais pas laissé tes lèvres formuler ce que ta pensée murmurait tout bas. Et quelle erreur cela aurait été !

Voilà que son rire s’envole haut et clair, rebondissant par écho contre les immeubles voisins, sous la lune orpheline. Imperceptiblement, tu crois lire entre ses traits davantage de sympathie à ton égard. Une réflexion occulte s’invite derrière ce masque de lady de bon genre. Impossible de deviner à quoi elle pourrait bien penser. Un nouvel éclat illumine son visage, plus brillant qu’auparavant, elle te sourit avant de confesser sa confusion quant à ton visionnage du film.

Une inspiration plus tard, tu voudrais t’excuser, confus d’avoir laissé s’échapper de la sorte un morceau de ton dialogue interne, dont elle semble, certes, ne pas s’offusquer. Mieux encore, les cheveux sur ta nuque se hérissent, lorsque tu reconnais cette intonation. Les gestes d’Allison non plus, ne mentent pas.  « Je suis sûre que rien ne peut nous arriver ! » Déclame-t-elle, les poings serrés, recréant devant tes yeux médusés la réplique du film et plus encore.

Dans ton regard, se rejouent les intentions que le brin de jeune fille devant toi aura prêtées à son personnage. Une candeur sans commune mesure, un courant ascendant de positivité, l’air d’une ère nouvelle, la conviction en des lendemains heureux. Au-delà d’une tirade comique, qui fait avec d’autres tout le charme de l’œuvre de laquelle elle est tirée, tu prends conscience de toute la charge émotionnelle qui peut se dissimuler dans une phrase aussi anodine.

Ému, vibrant de sentiments contradictoires, tu ne peux que rire face aux tourments dans lesquels te précipite la courte démonstration de la doubleuse. Discrètement, tu effaces une gouttelette au coin d’un de tes yeux, profitant de ton hilarité pour l’expliquer. « J’aurais envie de vous présenter mes plus terribles excuses… » Dans un sourire beaucoup trop béat pour que tes dires soient honnêtes, tu poursuis. « Mais quand je me vois récompenser de la sorte, je ne suis pas sûr de la pertinence de ma démarche. »

Tu ne peux réprimer un nouvel éclat, tu ravales rapidement ton gloussement, non sans porter ta main à ton visage pour apaiser ton fanboyisme. « Il se trouve que j’ai du un peu trop regarder le film… J’ai toujours été bon pour retrouver les comédiens de doublage, c’est un jeu pour moi de retrouver qui à jouer quoi. » Tu laisses ton regard glisser sur les contours de la dame à tes côtés, ainsi donc, tu pouvais finalement mettre un visage, un corps, sur cette voix éthérée qui aura hanté tes souvenirs.

« Même si, exigence oblige, je ne peux me prêter à l’exercice que dans les films d’animation, je suis amateur de VO… » Tu détournes le regard, soudainement. Ton sourire s’efface, tu ne voudrais pas mettre dans l’embarras ton interlocutrice, mais voilà la triste vérité. En-dehors de rôle de la sorte, il y a bien peu de chances que tu réentendes sa voix si elle prête la sienne à des acteurs jouant en langue étrangère. « Si vous aviez d’autres rôles de plus grande envergure, je suis preneur ! Si me pencher sur les doublages anglais n’est jamais ma première intention, je sais reconnaître le talent quand j’en croise. » Une nouvelle fois, ton visage rayonne d’excitation, c’est flagrant que tu portes une grande estime à son industrie et à son travail en particulier.

Il en faut peu au cinéphile bicentenaire, que tu es, pour se décider s’il apprécie un artiste ou non et en ce qui concerne la vampire, c’est tout décidé.