Un humain et un vampire entrent dans un Fast-food
FT Leslie

Encore une soirée banale à travailler jusque tard. Leslie ne s’en plaignait pas ; il préférait de loin cette ambiance un peu morne au sein du fast-food plutôt qu’une horde de clients, parfois plus bizarres les uns que les autres. A travailler aussi tard, il avait l’habitude - plus ou moins - de croiser des personnes au comportement étrange, souvent malaisant, et plus d’une fois, il avait regretté de travailler dans un fast-food. A choisir, il aurait aimé travailler dans une librairie, entouré de livres toute la journée, à en faire l’inventaire et à conseiller des clients avides de découverte. C’était toujours mieux que d’informer des clients chipoteurs sur la teneur en cornichons de tel hamburger - et oui, les frites étaient servies avec, et non, ce n’était pas un hamburger végétarien, non ce n’était pas possible d’avoir un jouet en plus, peu importe que le marmot braille à en réveiller toute la ville.

Un bref soupir entre les lèvres, Leslie poursuivit son ménage, faute de clients. Il nettoyait les plans de travail, les vitres sur lesquels les enfants posaient leurs mains graisseuses sans la moindre considération - mais ce n’était pas pire que celui qui avait une fois léché la vitre. A dire vrai, il n’avait qu’une envie, rentrer dans son appartement et se poser dans son lit pour se reposer. Le matelas du clic-clac n’était pas des plus confortables, mais Leslie avait appris à s’en accommoder avec le temps. Et avec un peu de chance, les primes de fin d’année lui permettraient peut-être d’acheter un meilleur matelas - ou mieux, de déménager pour un quartier plus sympathique que celui de Whitechapel.

Leslie ne nourrissait toutefois pas beaucoup d’espoir à ce sujet ; la paie au fast-food n’était pas exceptionnelle, et les loyers londoniens étaient tous, pour la plupart, hors de ses moyens. A croire qu’il  était voué à rester vivre à Whitechapel, jusqu’à ce qu’il déniche un travail mieux payé - soit, probablement, jusqu’à la fin de ses études a minima.

Sa collègue de travail lui donna soudain un coup de coude dans le bras et pointa l’un de leurs clients. Ou ‟squatteur”, selon le vocabulaire employé par sa collègue. Un homme s’était installé à une table, un carnet de dessin devant lui, mais n’avait pris aucune commande. Et malgré l’heure tardive et l’absence de clientèle, les employés ne pouvaient guère laisser une personne s’installer à l’intérieur sans payer la moindre consommation.

Après un shifumi raté pour savoir qui irait déranger ce client en pleine ferveur artistique, Leslie respira un grand coup et délaissa le comptoir pour s’avancer vers la table occupée. Quelque chose le mettait mal à l’aise au sujet de cet homme, sans qu’il ne parvienne à mettre le doigt dessus. Peut-être ses traits figés, qui ne laissaient pas supposer son âge ? Ou peut-être leur précédent échange de regard, et ce sentiment d’être épié dans le moindre de ses faits et gestes.

A proximité de la table, il se racla la gorge pour se donner du courage. Une part de lui maudissait sa collègue qui avait remporté le shifumi.

— Heu… excusez-moi ? Vous ne pouvez pas rester ici sans consommer.

Le regard de Leslie dévia malgré lui sur le carnet de dessin ouvert, et son cœur rata un battement alors qu’il se reconnut sur le papier. Super, je suis tombé sur le gars chelou du coin…

— Si vous souhaitez rester, veuillez commander quelque chose au comptoir. Autrement, je vous demanderai de partir.