Il est bien rare que tu t’adonnes à de telles confidences. Cela fait un moment maintenant, que tu retenais toute cette frustration en toi. Ça n’est qu’une infime partie de ce que tu ressens vraiment, mais déjà, tu ressens la culpabilité s’enrouler à ton cou. Vulnérable, c’est un doux euphémisme pour décrire ton état actuel. L’incompréhension complète de Cal à le mérite de te rassurer, un peu. Tout juste le temps que ton cerveau trouve une nouvelle façon de retourner la situation. Ton aimé n’est-il pas simplement démuni face à ta déclaration ? Tu lui balances tes émotions, puéril, comme si ça devait représenter quoi que ce soit à ses yeux. Pathétique.
L’inquiétude te prend de nouveau à la gorge. Il te demande d’attendre avec tellement de lassitude... Un instant, tu t’indignes d’avoir cru tes rêves être une réalité plausible, tu prends les choses trop à cœur. C’est absolument vrai, le journaliste à raison, après tout, il ne s’agissait pas de toi. Sale égoïste, doublé d’un sacré hypocrite. Tu te targues de t’inquiéter de son sort pour mieux t’apitoyer sur le tien, ridicule. Mordillant l’intérieur de tes joues, nerveusement, tu demeures dans l’attente d’une réponse développée.
Tu n’auras que très exceptionnellement vu Cal dans un état pareil. Le pauvre ne sait pas trouver les mots pour s’exprimer, le comble, n’est-ce pas ? Un partie de toi aimerait le railler à ce propos et l’entraîner vers une autre conversation. Mais, quand bien même tu le voudrais, les mots refuseraient de sortir de ta bouche, la chose mérite un meilleur traitement qu’une mauvaise blague et on repart pour un tour. Tu le voulais, non, le fin mot de l’histoire ? À toi d’assumer que la vérité vienne mettre un terme définitif à cette affection singulière, digne de Mme. De La Fayette. Il ne tolère même plus de poser les yeux sur toi, de ton avis, la sentence est toute entendue, il te faudra pourtant l’entendre de sa bouche, ou tu continueras à donner du petit-bois à ce foyer au fond de ton cœur.
Il se lance. « Elles ont été jusqu’à parler au nom de Meredith. » Ton visage s’était déconfit au fur et à mesure des révélations de celui que tu aimes. Tu imagines son quotidien terrorisé par l’omniprésence de ces vautours autour de lui, tu avais bien remarqué qu’il y avait souvent du monde chez lui, du passage, tu étais loin de t’imaginer le contenu de leurs conversations. Lorsque tu t’entends dire qu’elles avaient remis en cause sa qualité en tant que père, tu fulmines. Comment pouvait-on, humainement, formuler de telles infamies !? Cal, pas le meilleur papa que tu connaisses ? Tu leur en donnerais, tiens, un mauvais père, si elles en avaient manqué. Alors que tu croyais que la longue liste de remontrances était terminé, maintenant assis tout au bord de l’assise du canapé, prêt à bondir de colère, il ajoute cette phrase toute bête.
Ton visage reste impassible, un moment. À la machine, on pourrait lire un encéphalogramme plat. Impossible de trouver les mots justes, impossible de s’indigner à la juste mesure. À cet instant précis, une haine si viscérale te prit dans les entrailles que tu aurais préféré les épandre sur le sol. Faire un choix entre vivre avec le meurtre de ses vipères sur le dos ou les laisser respirer le même air que cet ange qui t’accompagne, impossible. La fragilité notable de Cal te met dans un état de détresse que tu n’auras que très rarement connu. Tu as envie de mettre le feu à la ville, de pleurer avec lui, de manigancer sa revanche sur elles, les choses tournent trop vite dans ta tête.
Il te prend de court. Il ajoute, en substance, qu’il voulait simplement que cela cesse. Réussir à pousser à bout un homme de cette trempe, tu dois dire que tu leurs tire le chapeau. C’est un exploit qu'elles auraient mieux fait de ne pas réaliser, mais il faut reconnaître l’effort fourni à la tâche. Elles y sont allées de bon cœur, les garces. Dans un mouvement davantage destiné à se raccrocher au réel, au présent plutôt qu’aux souvenirs douloureux, celui dont tu es persuadé, toujours, qu’il ne t’aimera jamais, poursuis. « Je… Je suis désolé que tu aies pu penser que je t’ai sorti de ma vie de cette manière… Ce n'était… Ce n'était pas ce que je souhaitais. » Il y a une erreur.. Tu dois mal comprendre. « Vraiment pas. »
Le regard obscurcit par cet ultime revirement de situation, toi non plus, tu ne peux souffrir de le trouver dans ton champ de vision. Ton visage est ravagé par un nouvel incendie, celui-ci prend son origine dans ce petit foyer, que tu entretenais bon gré, mal gré, de ton côté, sans même la présence de son objet à tes côtés. Celui-là où Cal vient de jeter une tripotée de bûches. Tu es si crédule, dès qu’il s’agit de lui, que te savoir apprécier, pas détester à au moins autant d’importance pour toi qu’un "je t’aime" pour quelqu’un d’autre.
Sans quitter des yeux ce coin de fenêtre, tu rapproches ta main de la sienne. D’abord timides, tes doigts effleurent le dos de sa main, puis se liguent pour mieux saisir leur sœur dans une étreinte empli de compassion. Tu ne sais plus tolérer ton manque de courage et décides d’agir convenablement. Tu fais volte-face, sans vraiment l’observer, par respect pour lui, par pudeur aussi et l’enlace sans chercher à savoir s’il te rejetterait ou non. C’est peut-être, ce fond témérité, accordé par ce cul-sec bu un peu plus tôt, qui te permet d’aller au bout de ton action, cette fois-ci.
Dans une respiration vibrante, tu inspires à son oreille, accueillant à plein poumon le raffinement de son eau de Cologne, l’odeur de sa peau et tu l’espères aussi, un peu de sa peine. Une de tes mains posée sur son avant-bras est jalouse de l’autre dont les doigts se perdent agréablement contre ses cheveux, dans une caresse réconfortante. « Si tu savais, comme je suis heureux d’être ici à nouveau, avec toi... » Le tremolo de ta voix trahit l’émotivité évidente de ta personne, présentement. « J’aurais tellement aimé que tu n’aies pas à affronter tout ça seul… »
Joue contre joue, tu te retiens par un miracle innommable d’une divinité païenne d’embrasser sa tempe, dans une gestuelle englobante.Tu trembles, comme une feuille contre lui, ce trop-plein d’émotions, tu ne sais pas quoi faire, alors ton corps trouve pour toi. Tu niches plus loin le bout de ton nez glacé contre son cou, faisant fi du col de sa chemise. Tu fermes les yeux à te les fendre, aucune envie de revenir en arrière, aucune envie de renoncer à cette chaleur si particulière qui émane de lui. Si tu avais déjà étreint des personnes par le passé, jamais ça n’aura prit ce degré d’intensité. « On ne t'a pas laissé le choix.. Ça a dû être atrocement dur.. Tu as fait de ton mieux. »