Pas certain d’en croire tes oreilles, tu continues d’enrager. Si t’encrasser les poumons n’arrange pas la situation, tu y trouves le dernier rempart à ta sanité mentale. Prenant ton mal en patience, tu lui rétorques tout de même la stricte vérité. « Ce n’est pas à vous que j’ai à rendre le moindre compte. » Satisfait de l’avoir piqué dans son orgueil, preuve qu’il en a bien un, tu repasses en boucle les éléments dont tu disposes sur le sac à puces. Tu ne remets pas son nom, il doit venir d’un autre service, ou même d’un tout autre département. Il vient d’où ce gars en fait, exactement ?
Tu n’en crois pas tes oreilles, c’est qu’il mordrait presque le bougre. Comme ça, il te trouve adolescent dans tes réactions ? Mais c’est qu’il n’a pas vu la moitié de ce que tu es capable de faire, encore. Les commères de bureau en ont pour leur argent et se contentent de chuchotements évasifs, comptant les points sans oser intervenir. Pathétique. Tu inspires furieusement une nouvelle dose de mort avant de te retourner brusquement vers l’animal, le toisant impétueusement. « Venant de quelqu’un qui perd tellement son temps à regarder sa montre, qu’il finit par devenir partenaire d’un vrai agent pour réussir à remonter le niveau, excusez-moi, mais… Ça, c’est risible ! »
Et puis, toc ! Prends-toi ça en travers des dents, chacal. Tu sais que ton comportement n’est pas adapté à la situation. Tu dramatises, un tantinet ? Peut-être, mais c’est plus fort que toi. Inexplicablement, le grand blond et sa cravate en biais font ressortir le pire de toi. Sitôt penses-tu l’énervement en toi se tempérer, sitôt la simple vue de son visage, l’écoute de ses mots, te mets hors de toi. C’est ridicule, oui, tu dois bien l’admettre. Et tu commences à arriver à court d’argument pour justifier ton délit de faciès. Tu sais très bien, qu’en faisant preuve d’un pet de mauvaise foi, le simple fait de devoir traîner un boulet derrière toi, ça suffira à te mettre en pétard.
Seulement, peut-être un peu trop conscient de toi-même pour ton propre bien, tu le sens bien que c’est pas tout. Y a un truc derrière tout ça, mais même en extériorisant tout ton mécontentement, rien ne daigne faire surface. La réponse n’est pas loin, tu en es certain. Mais, tant que ça ne voudra pas sortir, tu l’auras en travers de la gorge. D’ici là, puisse la chance vous être à tous deux favorables, tu ne comptes pas l’emporter au paradis, si tu peux avoir son badge, tu l’auras. « Puis, côté maturité, n’oublie pas que même à 38 ans, t’as toujours… 145 ans de retard, blanc-bec ! » Pour éviter de montrer que tu viens, en partie, de compter sur tes doigts pour t’assurer du résultat, tu jettes ton mégot par la fenêtre et rallumes une nouvelle cigarette, aussi sec.
« Vous me dites en tout cas, quand vous aurez fini de bouder, que nous puissions commencer à travailler. » En proie à tes plus obscurs démons, tu réponds immédiatement, sans y réfléchir. « J’ai pas fini, j'commence. » Puis, dans un grommellement indistinguible, tu roumègues. Là, c’est assez clair, tu sais reconnaître que ton comportement est puéril. L’envie, que dis-je, le besoin de le contredire est trop fort. Est-ce que c’est vraiment justifier d’étaler au visage de ton collègue sa médiocrité ? Pas que tu puisses te dire que tu as tort, dans l’fond, tu penses voir juste. Simplement, est-ce que ça permets vraiment de faire avancer le schmilblick ?
Non. Prenant appui contre le rebord de la fenêtre, tu t’assieds là, clope toujours au bec et relâche un écran de fumée entre toi et ton désormais partenaire. Il allait bien falloir faire le deuil de ce que tu as connu jusqu’ici. « On va pourtant pas s’arrêter pour si peu. M. Ponctualité, s’il te plaît, quelles sont les nouvelles du jour ? » Ah oui, tu te permets de le tutoyer, faut dire que tu prends facilement tes marques avec les inconnus. Globalement, ça devrait parler de la rupture de stock dans les banques alimentaires, sale temps pour les Déviants et le suivi des profils sous contrôles probatoires. S’il y avait eu du lourd, tu le saurais en principe. D’ailleurs, il te faudrait vérifier comment se débrouille Axel...