La journée n’est pas placée sous de bons auspices. C’est ce que tu disais déjà, ce matin, en constatant la journée pluvieuse qu’elle te réservait. Tu n’y couperais pas aujourd’hui, il te faudrait fréquenter ton satané cabot de partenaire. Étrange, malgré ton habituel retard, pas un mot plus haut que l’autre, vous vous ignorez plus ou moins cordialement. Tu n’en espérais pas tant, c’est presque.. Inquiétant ? Pour bien t’assurer que votre feu sacré ne se serait pas éclipsé pendant la nuit, tu lui sers quelles piques bien senties.

Rien qui ne dépasse vos désaccords coutumiers, la fréquence de leurs apparitions est même assez faible. Pour un binôme nouvellement formé, il serait attendu de finir par trouver une forme d’équilibre, quasi-symbiotique, mais ça ne paraît pas naturel, pour rien au monde. C’est quand même dingue d’en venir à s’inquiéter de savoir pourquoi tu ne te prends pas le bec avec Gallagher. Si peu d’échange, en bientôt une journée de travail complète… Tu continues gentiment de maugréer dans ton coin, poliment, n’en pensant pas loin.

Tu l’sais, à y mettre ta main à côté, même si peu de choses le laissent paraître, il a l’air d’une humeur de chien. C’est le comble, n’est-ce pas ? Mais qu’est-ce qui pourrait bien expliquer son humeur si ombrageuse ? Qu’est-ce qu’y aurait bien pu lui arriver ? Un chiot lui a mâchonné son jouet préféré ? Stressé, angoissé presque par le comportement éminemment étrange de ton collègue, tu jettes un regard sur l’horloge du bureau. 17h05. Ça fait bien cinq minutes qu’il a terminé, qu’est-ce qu’il fiche encore ici ?..

Il s’acharne à traîner sa vieille tête dans ton paysage et ça te dérange. La face enfarinée, vissée dans l’guidon, il poursuit son ouvrage. Qu’est-ce qu’il branle, le con ? Les minutes s’égrainent et il ne change pas de comportement, rien n’indique qu’il cherche à bientôt quitter l’office. Ça va bientôt faire plus d’un quart d’heure qu’il aurait dû disparaître d’ici c’est suffisant pour te faire dégoupiller. Puis, de toute façon, ce silence de mort va bien finir par te rendre cinglé. « Bordel de merde, c’est quoi l'problème, Gallagher !? » Ce n’est peut-être pas tout à fait comme cela que tu pensais aborder avec les choses, mais tu te consoles en te disant qu’il vaut mieux l’avoir dit, même mal que d’avoir continué à jouer les abrutis.

Tu t’offusques après lui, depuis ton bureau, froissant quelques feuilles, dans des mouvements brusques des mains, des bras. Tu es démonstratif, c’est rare. Il faut croire que tu as davantage pris sur toi que tu l’aurais préféré. « Ton heure est copieusement passée, maintenant. Tu comptes pas me laisser respirer d'la soirée non plus ?.. » Il est si simple d’exposer les choses d’un point de vue égoïste, c’est que ça t'écorcherait la gueule de lui dire que son attitude t’inquiète. Aussi maladroit que tu puisses l’être, tes tentatives tendent à montrer que tu essaies de comprendre ses raisons.

Mais, bien vite, de t’être décidé à prendre la parole allume un feu en toi que tu n’aurais pas soupçonné auparavant. Ce n’est pas tellement ça ton problème, savoir ce qu’il fait encore ici, finalement tu n’en as que bien peu de chose à faire. Le vrai sujet, c’est clairement de comprendre ce qui le pousse à fuir chez lui, cet empaffé. Le bon papy des louveteaux du quartier, le père célibataire, il a un truc pas clair qui le colle au derche et son spleen ruine ton groove. Tu t’dis que, p’t-être qu’une fois de plus, quitte à ce que ce soit mal interprété, il te faudrait le faire sortir de ses gonds. Pas que ce soit vraiment bien passé avec Cal, mais ça avait eu le mérite de crever l'abcès.

Alors comme la fois dernière, tu t’y jettes, les deux pieds dans l’plat. « J’veux dire, quitte à être un mauvais flic, tu voudrais pas au moins rester un père décent pour ta fille ? » Un sourire satisfait, d’une mauvaise foi innommable trône fièrement sur ton minois détestable. Tu comptes bien aller au bout de ton ânerie, c’est la moindre des choses, après tout, tu as un certain talent pour ce qui est de jouer au con, c'est troublant.