Une fois n’est pas coutume, tu t’es défait de tes atours. Ni parfum lourd de cigarette, ni smoking bon marché, complètement froissé. Tu te présentes à l’église comme le gendre idéal. Un col roulé neutre, un chinon cintré d’une belle ceinture de cuir. Le tout rehaussé par une paire de lunettes rondes, translucide, pour une fois. Rien, dans ta présentation ne trahit qui tu es. Que ce soit ton rasage à blanc, impeccable, l’eau de Cologne que tu as soigneusement déposé dans ton cou, tu as tenté de soigner ton apparence jusque dans les moindres détails.
Le pied posé sur les dalles du bâtiment consacré, tu tends, le plus naturellement du monde, ta main vers le bénitier pour y récupérer quelques gouttes d’eau sacrée. Sobrement, sans bruit, ni soupir, tu poses un genou à terre et réalises ton signe de croix. Te relevant, tu rouvres les yeux pour découvrir les âmes qui peuplent les lieux. Un homme, visiblement prêtre, attire particulièrement ton attention. Il te faudra jouer plus finement que tu en as l’habitude, ça n’est que ton instinct qui te dicte d’approfondir tes connaissances sur cette communauté religieuse. À bien y regarder, quelques-uns des bénévoles des banques alimentaires près de chez toi on cesser leurs dons.
Plusieurs d’entre eux sont connus pour fréquenter ce groupuscule, dont les idées te sont encore parfaitement étrangères. Voilà pourquoi, dans le plus grand anonymat, tu viens en personne enquêter pour déterminer les raisons de ces désistements progressifs et si ce pasteur y était ou non pour quelque chose. Si tes dernières représentations de Kabuki remontent trop loin pour que tu en gardes une image vibrante en mémoire, il y a des choses qui ne s’oublient pas. Feindre le trouble, l’incertitude. Tu émanes rapidement une aura indécise et en proie au doute, le cocktail, parfait – te semble-t-il – pour appâter un homme de Dieu en mal de brebis égarées.
« Pardonnez-moi, mon Père, pourrais-je vous importuner, un instant ?.. » Derrière ces carreaux qui laissent beaucoup trop la luminosité ambiante écorcher tes rétines, tu lui tends un regard saint, dépourvu de vice. Serais-tu suffisamment convaincant pour lui tirer les vers du nez, le bonhomme est-il abordable, au point de se laisser alpaguer de la sorte ? L’heure n’est pas à l’office, mais peut-être a-t-il d’autres impératifs que de rassurer une ouaille potentielle.