C'est d'abord un désir sincère de t'intégrer à la vie londonienne qui t'a poussé à prendre contact auprès de Redcastle. Tu voulais mettre toutes les chances de ton côté, régulariser ta situation avant de reprendre tes études, en vue de passer ton concours d'agent. C'est là que tu comprends pourquoi le BUR avait l'air de penser que ça ne ferait pas de mal que tu rejoignes cette ruche. C'est le Bras-Droit d'un Redcastle orphelin qui te reçut, accompagné des princesses. En étudiant la face particulièrement troublée d'une de ces dernières, tu saisis la situation. C'est en brillant par son absence qu'elle aura vendue la mèche. Ielles vivent le deuil de leur Reine, la ruche lui a survécu. Un frison d'horreur te parcours, l'envie de vomir est difficile à contenir.

Ce sentiment viscéral d'être renvoyé à ce moment-là, lorsque tu as tout perdu, ne passe pas inaperçu. Trahi par ton propre corps, tu préfères jouer cartes sur table avec elleux. Tu commences par présenter toutes tes condoléances, ce qui ne manque pas de soulever quelques sourcils, puis explique, dans ses grandes lignes, ton parcours en tant que vampire. Tu omets les détails moins avouables, mettant en avant l'éducation que tu avais reçue, l'enclave culturelle éminemment sophistiquée dans laquelle tu avais évolué, jouant sur l'exotisme pour lequel sont connu les Anglais. Il te fallait brosser un tableau aussi attrayant que possible pour ce qui allait suivre. Tu t'attaques au réel enjeu de cet entretien, ce que tu attends d'eux, comment tu te vois collaborer avec une nouvelle ruche.

Tu réaffirmes chaque devoir d'un vampire envers sa Reine, tu redoutes ce qui va suivre. Exposant les difficultés que tu rencontres à te lier à une nouvelle ruche, les mines se renfrognent. Malgré tout, tu poursuis, arguant qu'en substance, ce que tu souhaitais était que l'on respecte ton rythme, exposant la sympathie que tu pouvais ressentir pour eux, tu cherchais finalement un traitement similaire. L'initiative reçut un accueil mitigé. Convaincu d'avoir péché d'orgueil pour avoir cru que ton honnêteté, seule, paierait, tu te ravises. Tu n'as aucune envie de laisser passer cette opportunité de te voir de nouveau capable de manger à ta faim sans en passer par un rituel de lien du sang.

En définitivement, c'est bien ce que tu redoutes le plus. La simple pensée de repousser ne serait-ce que de quelques mois cette échéance t'apparaissait comme un luxe à côté duquel tu refusais de passer. De cette perspective de nouveau lien, tu en ressentais un impérieux besoin, lancinant, grandissant aussi bien qu'une peur quasi-pathologique. Tu étais encore bien loin de te douter que ce rendez-vous avec le destin n'aurait lieu que huit ans plus tard. Prenant la décision de mentir éhontément, tu utilisas le fait d'avoir des lacunes linguistiques, à l'écrit notamment, pour justifier d'une certaine honte à se présenter ainsi devant eux. L'histoire que tu décidas de raconter fut que tu n'osais pas exiger d'eux un soin que l'on réserve aux nymphes.

Le rose aux joues, ta confidence est sincère, bien que tu te refuserais d'ordinaire de t'abaisser à susciter la pitié auprès de ton auditoire, le jeu en vaut la chandelle. L'anecdote décrispe certains visages. Tu prétends accepter de te mêler progressivement aux membres de la ruche dès ton entrée dans la ruche, pour peu que l'on t'attribue ne serait-ce qu'une personne avec laquelle lier une relation privilégiée. Un vampire qui t'aiderait à combler tes lacunes au fil du temps, t'épargnant de devenir la risée de la ruche. Cette annonce fait davantage sensation, non pas que tu puisses soulever les foules dans un contexte aussi tragique, mais tu te sens, petit à petit, gagner du terrain.

Tu affirmes que tu participerais volontiers à la vie de la ruche, dès lors que cette question sera traitée, que tu entends donner de toi-même pour offrir à ta future ruche un cadre fiable. Partageant tes aspirations aux études, au poste d'agent du BUR, tu te vends comme l'ami du maintien l'ordre, du vivre-ensemble, disposant d'un grand sens du devoir et de la loyauté. C'est peut-être ça qui aura fini d'enfoncer le clou pour tes interlocuteurs. À moins qu'il ne s'agisse encore de manigances de la part de ces sales vampires. Tu n'en as aucune idée et pour tout dire, tu t'en moques. Le plus important avait été de l'emporter et il semblerait bien que ce soit chose faite.

Ce que tu ignorais alors, c'était que de Reine, tu n'en connaîtrais effectivement pas avant huit ans. Tu venais de signer pour une période d'essai, assuré à ces gens d'être quelqu'un que tu n'étais pas, qui ne serait jamais toi, en es-tu persuadé. Toi qui t'imaginais l'affaire réglée d'ici quelques mois, répondre aux sollicitations de cette Reine, sans discuter, sans faire de vague, sans plus d'attaches que ça. Voilà ce qui allait bâtir autour de toi un véritable mur de ressentiment que chaque semaine passée à devoir jouer un autre, de risque de te voir excusé sans autre forme de procès, retourner à la rue, connaître la faim et l'isolement. Hors de question. De cette période, tu n'auras conservé que bien peu de relations pérennes, préférant vivre le rituel du lien de sang auprès de ta toute nouvelle Reine comme la rupture nette avec celui que tu n'accepterais plus d'être pour eux.