Tout au plus légèrement enivré par cette gorgée, tu répondrais bien à la taquinerie du blondinet, à propos de ta décente, pas un trait d’esprit. Mais, un hoquètement intempestif t’en empêche. Tu te retrouves à simplement cligner des yeux, pareil au nouveau-né, encore surpris des agissements de son propre corps. Tu n’auras donc pas l’occasion de le rassurer sur ta capacité à correctement estimer ce que tu pouvais mettre en bouche. Pas plus que, tu sois parfaitement conscient des quantités que tu puisses avaler, ou non. La conversation aura trop vite avancée pour te permettre de garder en mémoire ces petites phrases anodines.
Te faudrait-il un décodeur ? Tu en es pourtant certain, ce doit être une vue de l’esprit. Il n’y a vraiment que toi pour croire en une corrélation entre l’abrupte déclaration de Cal. « Je t'appellerai. » Et son soudain regain d’intérêt pour sa pinte. Qui est tout de même, aussi, quasiment la tienne. Surtout qu’il ne dirait pas ça, à quelques centimètres de ton visage, en sous-entendant plus qu’il n’en dit. Ça ne lui ressemblerait pas, si ? Tu prends le temps, quelques fractions de seconde, pour étudier le grain de sa peau et tu te rappelles ô combien cet enfoiré à de beaux pores.
C’est vraiment frustrant, quand on considère que tu n’as pas la moitié de sa qualité de peau, alors que tu laisses une vraie fortune chez l’esthéticienne quand tu y accompagnes Micah. Inacceptable. Tu jurerais qu’il l’a très douce en plus… Plutôt que de céder à la tentation, tu te retires. Alors que tu amorces ton mouvement, il choisit ce moment précis pour déclarer. « Évidemment, je prends toujours soin de ce qui m'appartient. » Tu préfères t’abandonner dans l’étude du tableau plutôt que d’y penser. Faire le vide dans ton esprit relève de l’exploit, mais tu pourrais jurer que pendant un instant, les yeux dans les yeux, il aura été témoin de ton agitation interne.
Visiblement fier de lui, il affiche un sourire incroyablement satisfait. Tu voudrais l’insulter, le conspuer, lui jeter la carte des cocktails en travers de la figure, mais tu n’en fais rien. Ça impliquerait de quitter ta station demi-couchée et tu ne sais pas si tes paupières sauraient retenir tes larmes. Puis, ça te demanderait de lui faire face et bien que tu saches lui reconnaître une certaine attractivité au naturel, ce sont ces moments-là qui lui font dépasser le sublime. Qu’est-ce que tu arriverais bien à lui rétorquer, alors ? Décontenancé par son visage d’ange, tu n’aurais plus qu’à te taire, défait par celui dont tu sais qu’il n’est qu’un démon, en vérité. Raison exacte d’ô combien il te fait perdre tous tes moyens. Tu aimes, tu adores ça aussi, de lui.
Il semble presque regretter votre trop grande proximité. Il te faut te calmer avec l’alcool, ça te fait croire des choses qui n’existent qu’en pensée. C’est une simple projection, tu es certes, fin observateur, concèdes-tu, mais tu sais pertinemment que tu n’es plus tout à fait opérationnel quand il s’agit de Cal. Il t’invite à demi-mot à passer, chez lui… Chez eux !? L’affirmation te fait dresser une oreille, tu remarques l’arrivée de la serveuse, apportant ton demi de bière. Tu racles le fond de ta gorge et t’empresses de reprendre une position correcte pour cet établissement. Tu remercies l’employée, un peu penaud quant à la manière dont aura été commandé ce verre, un seul regard, furtif, accompagnant ton merci.
Ton breuvage en main, tu reportes toute ton attention sur le journaliste, inclinant, imperceptiblement la tête de côté, comme si cela allait te permettre de percer son secret. Il te semblait pourtant persona non grata dans cette demeure. À l’époque, tu n’avais pas bien saisi pourquoi, mais c’est suite à leur mariage que vous vous étiez perdu de vue et l’heureuse élue n’y était pas inconnue, de ce que tu en avais pu comprendre. Il a pourtant l’air fichtrement sérieux, le bougre. Tu en es certain, il y a anguille sous roche, ou tu ne t’appelles pas Meryl Streeb. La situation semble suffisamment préoccupante pour lui donner l’envie, progressivement, de ne plus laisser qu’un fond de bière, dans sa pinte.
Son regard se perd dans le vague, cognant désespérément contre son verre. Il va quand même pas t’apprendre son décès à l’autre cruche ? Non. Ils viennent simplement de divorcer. Si le fond pourrait te donner des envies de célébrations, tout à fait méritées, la forme n’est pas à la fête. Il n’a jamais quitté le spot où se sont arrêtés ses yeux, le ton de sa voix n’exprime aucun regret, rien qu’une vague délivrance ? Si une partie de toi se réjouit, forcément, de cette nouvelle. Tu ne peux t’empêcher de penser à ce qu’il doit venir de vivre pour en arriver là. La perspective qu’après le décès de Mérédith, sa seule récompense aura été de vivre un mauvais remariage. Ça ne te ravit pas le moins du monde.
Pour autant, est-ce que ça te surprends ? Non. Non seulement, tu le lui avais dit que c’était une idée absurde. Il ne l’avait jamais aimé cette fille, du moins pas comme ça. Puis, si Chloé avait besoin d’une maman, elle pouvait tout aussi bien s’épanouir avec deux papas. Là, on entre dans le domaine de ce que tu ne lui as pas confessé. Tu soupires, circonspect par la nouvelle. Sans réellement y prêter attention, tu viens poser ta main contre celle de Cal, toujours accroché à son verre. Tu lui offres un sourire triste alors qu’il renchaîne. « C’est quand même drôle que je retombe sur toi maintenant, après tout ce temps. »
Tu laisses échapper un rire, bref. La gêne, à n’en point douter. C’est sûr que tu ne passais pas les rares jours où la météo le permettait à guetter sur les scènes de crime, son arrivée éventuelle. C’est même presque surprenant que ses collègues ne lui aient jamais dit. Après tout, tu n’es jamais entré dans les détails avec eux, ils ne te connaissent peut-être même pas de nom. Laissant rouler tes phalanges contre les siennes, tu contemples le phénomène, mystifié. Ça t’en tire même un nouveau sourire, beaucoup moins éclatant qu’à l’accoutumé, mais beaucoup plus intense aussi. Fasciné par la chaleur de ce corps bien en vie, tu te surprends à l’imaginer pressé contre toi.
C’est pas que toi, il fait bien chaud ici !? À nouveau, tu t’es rapproché pour mieux t’éloigner, sans prévenir. « Pardon, j’en pète. » Tu retires d’abord la fameuse écharpe rouge que tu étales sur la largeur de la table, de sorte à réunir vos banquettes par son intermédiaire. Puis, tu retires méthodiquement ta veste de costume, veillant à la replier proprement en deux pour la poser à côté de toi. N’en finissant pas si facilement, tu déboutonnes tes manchettes de ta chemise pour les retrousser jusqu’au coude. Cherchant à retrouver consistance, tu luttes et abordes la chose sur un ton plus léger, du moins tu le tentes. « Non, mais, tu rigoles ? Évidemment que j’étais toujours dans l’coin. Tu pensais pas te débarrasser de moi aussi facilement quand même ? »
Tu t’essaies à la tapote amicale sur le côté de l’épaule, mais très convaincu, tu retires rapidement ta main, que tu préfères garder pour toi. Le potentiel qu’à cette main à être dangereuse est beaucoup trop grand. Désœuvré face aux challenges que Cal aura dû affronter seul, tout en continuant de protéger au mieux sa fille, comme toujours, tu n’arrives pas à te raisonner. Il aurait peut-être mieux fallu que tu te taises, mais la situation, la boisson, les retrouvailles, tout ça te pousse à t’exprimer à nouveau, plutôt qu’à l’inviter à parler, lui prêter une oreille attentive dont il doit pourtant avoir besoin. « De toute façon, du moment que tu annonces une invitation à prendre un verre, je serais toujours ton homme, Cal. »
La phrase, dans ta bouche, dans ton cerveau, se veut très innocente. Mais il semblerait que ces deux-là travaillent de concert à ta défaite. À peine réalises-tu l’énormité potentielle, ton esprit la considérant comme évidente, que tu viens de lâcher, que tu te jettes sur ton maigre demi. Peinant à te camoufler derrière le gringalet, tu le descends d’une traite, sans lui laisser la moindre chance. Tes oreilles rougies tressaillant à chaque gorgée. Dans ce mouvement, une gouttelette de condensation rejoint ta lèvre inférieure pour glisser le long de ta mâchoire jusque dans ton cou et glisse trouver plus vert pâturage, sous ta chemise.
Ayant désaltéré ta soif d’oublier, tu te redresse pour sentir cette impertinente poursuivre sa route jusqu’au milieu de ton ventre. Surpris, tu te redresses et déboutonnes les premiers boutons de ton col, de sorte à laisser passer ton bras à l’intérieur du vêtement, pour essuyer du bout des doigts la coupable. Tes joues, pâmées de nuances vives, tu cesses la mascarade et t’écroules sur ton assise, misérablement. Un mal de crâne se pointe et tu ne sais qu’en râler lamentablement. Tu te masses méthodiquement les globes oculaires, par-dessus tes paupières, à l’aide de ton pouce et de ton majeur. Quelle débandade...