« En-tout-cas, j’vous félicite Mademoiselle. Je crois bien qu’en presque 200 ans d’existence, je ne me suis jamais fait, aussi promptement, roulé dans la farine. Vous sauriez vendre des chaussures à un cul-de-jatte ! »
Retiré des bords de la Tamise, mais a deux pas de la Cité, Clerkenwell a tout conservé de la classe à l’Anglaise. Dans une ambiance moins guindé qu’à Mayfair, le quartier regorge de bonnes adresses et de maisons familiales en tout genre. L’échoppe dans laquelle tu as choisi d’arrêter tes pas ne fait pas exception. Une boutique modestement appelée la Maison du Thé, à la devanture soignée et au charme ravageur. C’est d’humeur allègre que tu te laisses embarqué par le storytelling de la vendeuse et te retrouves à accepter une singulière proposition.
« Puisque vous acceptez, je vous invite à me suivre Mr. Streeb. Ici, ce devrait être parfait, j’ai cru comprendre que vous aimiez le thé blanc, je vous présente Mr. Ward qui donnera avec vous son avis sur cette sélection. Je vous remercie encore de prendre part à cette dégustation, n’hésitez pas à revenir vers moi lorsque vous aurez terminé, je reste disponible en cas de besoin. En vous souhaitant de passer un très agréable moment dans notre Maison du Thé. »
Sur un dernier sourire enchanteur, la jeune femme s’éclipse de sorte à laisser ces Messieurs faire connaissance, mais aussi continuer d’accueillir la clientèle. Voilà comment tu te retrouvais là, à participer à une dégustation gratuite de thé afin de déterminer lequel sur sélection proposé à ta table était le meilleur – et méritait donc de se faire une place dans le listing des futurs produits du magasin. Le tout pour une ristourne de 20% à partir de 40£ d’achat, quel requin cette gamine… Tu découvres, face à toi, un homme tout bonnement immense.
Une grande tige, plutôt musculeuse, brune, d’une trentaine d’année… Ça a tendance à ne pas trop te plaire. Comme un roquet face à un cheval, quand bien même tu n’aurais aucune chance, ton premier réflexe reste d’aboyer ton inconfort. Toutefois, aujourd’hui n’est pas un de ces jours. Tu réprimes un ricanement moqueur et décrètes qu’il serait peut-être temps de déchausser tes lunettes de soleil, pour saluer ton compagnon d’infortune. Après tout, si l’on s’en réfère au bagou de la fille du patron, il n’a peut-être pas plus que toi, réellement, décidé d’être ici.
« Vous non plus, vous n’avez pas su dire non à sa bouille angélique ?.. » Tu soupires, acceptant ta défaite face au sens innée de marchande de la jeune fille. « Qu’est-ce qu’on ferait pas pour les femmes… N’est-ce pas ? » Malgré le caractère caricatural de ton trait, l’oreille attentive saura repérer un brin d’amertume, au fond de ce caractère bon enfant que tu tentes d’afficher. Des reliquats de blessures plus profondes, sur lesquelles tu n’épilogueras pas. À ton tour, tu affiches un sourire affable et tends ta main – toujours gantée – à l’inconnu. S’il semblerait que vous fassiez la paire dans cette galère, autant bien s’entendre.
« Meryl Streeb. Un plaisir. » Lui ayant fait signe qu’il n’avait pas à se lever pour te saluer, tu t’installes sur une autre chaise que celle que t’avais désigné la commerçante, par pur esprit de contradiction. Tu déposes à revers, contre la table, la poignée de ton ombrelle de dentelle noire et humant les odeurs qui s’échappent des différentes théières posées là, fais ton premier choix. « Je pense commencer par le thé au jasmin et aux pétales de roses… Vous l’avez déjà goûté celui-ci ? » Tu jettes un œil sur le formulaire, proprement installé sur un support en bois mobile joint par une cordelette à un stylo de belle facture. « Un peu de délicatesse, dans ce monde de brutes, ça fera pas d’mal. »